• Contre le parti de la complexité

    Nous venons de relire un texte d’Henri Maler[1]  « Eloge de la Rébellion » paru dans la revue « Les temps modernes » en 1996. Notre lecture personnelle nous a librement inspiré les propos  qui vont suivre…

    D’abord, nous reprenons une citation du poète lumineux René Char, mis en exergue de l’article relu : « Ce qui suscita notre révolte, notre horreur,  se trouve à nouveau là, réparti, intact et subordonné, prêt à l’attaque, à la mort. Seule la forme de la riposte restera à découvrir ainsi que les motifs lumineux qui la vêtiront de couleurs impulsives ».

    Notre révolte doit être permanente car les utopies d’aujourd’hui peuvent être les réalités de demain et il faut réinventer notre révolte pour ne pas succomber, depuis que l’histoire ne s’ordonne plus autour du fil conducteur de la lutte des classes, depuis que la géographie ne partage plus les oppresseurs et les opprimés. Notre réalité serait devenue complexe et nous échappe. Autour de cette complexité s’affairent des généralistes et des spécialistes auxquels se référent les politiques qui métissent les options. Mixtures et bigarrures seraient notre lot. Les reformes ne sont plus que l’alternance de médecines douces et de traitements de choc. La politique et la diplomatie sont mises au service de l’Economie. Les experts financiers du FMI justifient la misère et l’humiliation à coups de statistiques avec la complicité de gouvernements dociles. La politique, l’économie et le militaire ont leurs légions d’experts, de technocrates, de courtiers, de courtisans et de gouvernants VIP… tous adeptes d’une seule religion : l’argent.

    La constitution de la Cinquième république a conduit la société française à la seule alternative entre oui et non, entre le pour et le contre. Un choix dangereusement simplifié qui partage la France en deux. A chacun sa version du partage, telle est l’éthique minimale de la démocratie. Ce n’est qu’une illusion car il n’existe plus qu’un seul parti : celui de la complexité.

    Lorsque le parti de la complexité consent à agir, il se confond aisément avec le parti de la diplomatie et de l’énarchie, celui de la gestion de l’état de fait et du moindre mal. Les rouages se succèdent mais restent des rouages au service de la grande Finance.  Le système est bien huilé. A la gestion à courte vue, les espérances de l’utopie à longue durée ne sont-elles pas préférables ? La résistance au présent sinistré pointe en direction d’un avenir libéré. Il faut défaire ce qui apparaît comme une fatalité et changer l’ordre social lorsqu’il n’est pas subordonné à la justice sociale.

    Notre président normal n’est qu’un rouage du libéralisme économique, un professionnel de la suture qui avait promis la rupture. Il est un moraliste de la normalité et de la connivence qui badigeonne les valeurs de la Gauche pour les décolorer. Il est un philosophe de la politique, garant de notre normalité, qui veut nous faire croire que le statu quo deviendra respirable si l’on amende ses justifications. Selon lui, la radicalité devrait s’effacer devant la compétence et abdiquer au bénéfice de progrès insensibles comme l’inversion de la courbe du chômage. Il veut ménager pour aménager en réduisant l’action politique à l’impuissance face à la machinerie libérale de la domination. Il devrait lire plus attentivement par exemple Foucault lorsque ce dernier dit une réalité historique : « Les transformations réelles et profondes naissent des critiques radicales, des refus qui s’affirment et des voix qui ne cassent pas ».

    Notre président s’est cassé la voix. Il est inaudible à gauche. Il n’a ni visée, ni méthode. Il veut traiter  les symptômes de la crise par des réformettes octroyées, sans éradiquer les causes. Il prend d’une main et donne de l’autre mais sa main gauche reste malhabile. Il est droitier, n’en doutons plus. Il veut être jugé sur des résultats en oubliant que la Gauche n’est jugée que sur les combats qu’elle mène. Il entretient la démobilisation sociale. Il considère aujourd’hui comme utopie le réalisme de la gauche dont il se prévalait hier. Pourtant la radicalité est moins impuissante qu’il ne le prône contre le Front de gauche. Il suffit de comparer les transformations sociales qu’elle a favorisées et les reculs sociaux  qu’elle a permis de contenir, aux effets d’une technocratie qui ne cesse de privilégier l’urgence des solutions qu’elle assène au détriment de celle des besoins sociaux restés à satisfaire.

    La gauche a besoin de sortir des castings du PS qui produit des acteurs nourris par les préceptes économiques de la droite. François Hollande a fait sa sortie du placard à l’occasion des vœux présidentiels. Il n’est plus le candidat élu mais lui-même, c’est-à-dire celui qui abandonne les valeurs de gauche pour celles conservatrices du libéralisme économique de la droite.

    Nous n’allons pas ici reparler des derniers rebondissements du vaudeville élyséen qui se joue actuellement et qui tournerait même au polar corse. Nous ne pouvons que regretter qu’un homme politique soit parvenu au plus haut niveau de l’Etat sur des tromperies. Jospin, en son temps, avait fait perdre lamentablement la gauche en reniant le socialisme. Hollande est en train de faire le lit à la droite et l’extrême-droite. Le Front de gauche est entré dans l’opposition dès le lendemain des élections. Il reste la seule alternative à une politique libérale et propose le passage à la Sixième République.

    Le changement n’a pas eu lieu. Il ne peut intervenir qu’après une réforme constitutionnelle et le renouvellement des partis politiques pour sortir d’une alternance du « Même ». Les contrastes imaginaires du bipartisme et les noces consensuelles ne sont pas une fatalité et, même s’il en était une, il faut lutter.  Nous avons commencé avec René Char, nous terminerons avec lui : « Juxtapose à la fatalité la résistance à la fatalité. Tu connaîtras d'étranges hauteurs ». (Extrait de Fureur et mystère, 1948).

    Il faut de tout pour faire un monde mais rien n’empêche de préférer les détecteurs de catastrophes et les prospecteurs d’utopie, aux responsables efficaces et aux fondateurs prolixes, aux historiens notariés et aux commentateurs patentés, aux rebouteux diplômés et aux représentants attitrés. Rien n’empêche de préférer le Front de gauche au parti de la complexité. Rien n’empêche de préférer le Front de gauche, seule alternative au système huilé, aux rouages d’une machine qui fabrique des électeurs d’extrême-droite et des abstentionnistes désenchantés.

    Pidone



    [1] Henri Maler est maître de conférences en science politique à l'Université Paris VIII. Il est également fondateur et animateur de l'association Acrimed depuis début 1996. Vous pouvez lire son  texte orignal « L’éloge de la Rébellion » à l’adresse ci-dessous :

     http://www.homme-moderne.org/societe/philo/hmaler/textes/rebellion.html

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