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Des maux de l'humanité, des mots de l'Histoire...
Au Chili, le 9 décembre dernier, le Conseil national de l’Education a approuvé: à la page 31 du programme d’histoire que le terme de “dictature militaire” soit remplacé par “gouvernement militaire”. Ce changement conceptuel n’est pas anodin, comme voudraient le faire croire certains. C’est bien une « dictature » qui a dirigé le Chili pendant 17 ans. La majorité des Chiliens savent que les militaires ont renversé un gouvernement élu, gouverné de manière autoritaire, qu’ils ont été portés au pouvoir par un coup d’Etat, qu’ils n’avaient pas le moindre respect pour les droits de l’homme et qu’ils ont transformé radicalement les fondements matériels et subjectifs de la nation chilienne. Le concept a son importance même si les Chiliens sont capables de débattre en public de leur histoire et si la télévision aborde ouvertement les atteintes aux droits de l’homme avec des séries comme “Les archives du Cardinal” ou la dernière saison de “Les années 80”. Toutefois les changements conceptuels ne sont ni innocents ni anodins. Ces changements cachent une intention politique et idéologique évidente. C’est ce passé sans le mot « dictature » qu’on va enseigner aux enfants chiliens.
La décision du ministère de l'Education de remplacer le mot dictature par celui "régime militaire" dans les manuels scolaires a suscité une levée de boucliers. Un débat qui n'est pas innocent, affirme Cristina Moyano, historienne chilienne : changer les mots, c'est transformer la réalité.
C’est un exemple qui montre que le négationnisme commence par le refus d’un terme, d’un concept, et que le travail des historiens peut être celui du négationnisme alors même que des images, des témoignages, des documents… que toutes les preuves sont réunies pour que le terme, le concept, entre dans les livres d’histoire. Au Chili, il s’agit du mot « dictature ». En Turquie, du mot « génocide », occulté depuis 1915. Dictature, Génocides… des maux de l’Humanité, des mots de l’histoire… Doit-on laisser des historiens négationnistes continuer à désinformer et à manipuler l’histoire. Doit-on laisser un pays exporter le négationnisme dans une démocratie ? Le sénat, en France, a l’occasion de répondre à la question le 23 janvier prochain. Un génocide est l’affaire de l’humanité et concerne toutes les démocraties.
En ce qui concerne le génocide arménien, une campagne journalistique odieuse est menée. Nous ne citerons pas les leaders. L’argumentation développée est parfois une insulte aux Arméniens de France. Tel journal se pose en porte-parole de la diplomatie, prêt à céder au chantage. Les média franchissent la ligne rouge de l’éthique. L’indépendance de la presse serait-elle surannée ? En ne voyant que des raisons électoralistes à cette loi, ils oublient le vrai objet du débat qui a eu lieu au Parlement. On ne fait pas de la politique sur un génocide, en éludant la dimension politique du négationnisme relayée par le lobbying pro-turc. Le pire dans cette cabale, c’est une victime de la Shoah refusant aux Arméniens le bénéfice de la loi Gayssot et faisant du mot « génocide » une AOC juive, une marque de fabrique déposée au Tribunal de Nuremberg. C’est ce qui fait le plus mal aux Arméniens car il s’agit alors d’une forme de négationnisme qui vient de là où ils ne s’y attendaient pas. Comment peut-on, par des arguties juridiques, remettre en cause pour les uns ce que l’on a revendiqué pour les autres ? Comment se dire alors l’ami des Arméniens et avoir de la compassion pour ce qu’ils ont vécu ?
Le négationnisme ne s’arrête pas aux frontières d’un état comme la Turquie. Par le lobbying et la menace, il veut s’imposer aux démocraties. C’est pour cela que les Etats démocrates ont le devoir, lorsque l’Histoire est écrite, de légiférer pour que le vœu pieux « Plus jamais cela !» entre dans une réalité au lieu de s’enfoncer dans le non-dit complice qui a eu pour résultats, après le génocide arménien, d’autres génocides. Le génocide arménien est historiquement prouvé. Il faut ne pas s’y être intéressé pour penser le contraire. Le négationnisme fait courir de grands dangers à l’humanité. La passivité est coupable et, en droit, il existe la non-assistance à personne en danger. L’Histoire l’a déjà démontré à plusieurs reprises face à la dictature, au fascisme et au nazisme notamment mais aussi à l’impérialisme. On se souvient, en France, des maladroits « bienfaits » de la colonisation et des ravages que peut faire la justification de l’injustifiable. En outre, contrairement à ce que les adversaires de la pénalisation veulent faire croire, cette pénalisation ne peut que pousser l’Etat turc sur la voie de la reconnaissance et ne peut qu’aider les démocrates turcs. C’est après la reconnaissance du génocide par la France en 2001 que des Turcs ont demandé collectivement pardon aux Arméniens pour ce qu’ils appellent cependant toujours la grande tragédie. Il ne faut pas taire qu’en Turquie, on risque la prison et l’assassinat si on prononce ouvertement le mot « génocide ». Aucun des détracteurs de la loi de pénalisation ne met l’accent sur cet aspect de l’Etat turc. C’est en Turquie qu’il y a le plus de journalistes poursuivis et emprisonnés. Les journaux français ne le disent pas assez et sont plus prompts à défendre un Etat islamiste modéré soit disant démocrate.
La loi qui a été adoptée par le Sénat concerne tous les génocides reconnus par la France qui a encore du chemin à parcourir puisque seulement deux génocides ont été, à ce jour, reconnus dans l’hexagone : la Shoah et le génocide arménien. Elle pourrait concerner d’autres génocides comme celui du Rwanda. On a parlé un temps du Darfour mais cette actualité n’a plus la faveur de la presse. Dans d’autres pays, des prémices de génocides apparaissent. Il est temps de prendre conscience des dégâts engendrés par l’omerta internationale et le négationnisme. Les Arméniens ont été à l’initiative d’un événement Amnésia internationale pour que l’on se souvienne de tous les génocides. Contrairement à quelques victimes de la Shoah, ils ont fait de leur malheur la raison de se battre aux côtés du malheur des autres. Heureusement y participent d’autres victimes de la Shoah. Cet événement unique se déroule chaque année à Marseille. Le prochain est prévu pour le 24 mars prochain.
« Le 20ème siècle a été celui des Génocides. Qu’ils soient arménien, juif, tsigane, cambodgien, rwandais, ou plus récemment darfouri, ces crimes contre l’Humanité restent une plaie béante dans la conscience universelle, avec leurs millions de morts, de déportés, d’exilés.Ne pas se souvenir, ne pas condamner ces génocides, ne pas empêcher leur négation, c’est refuser le droit au repos en paix à toutes ces victimes de la barbarie humaine. L’amnésie collective interdit tout travail de mémoire, et pire encore, elle peut conduire à une potentielle reproduction de l’Histoire… »
Signé: Pidone
Tags : Dictature, Génocide, Chili, Arméniens, Amnésie, Amnesy internationale
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