• Fin de série du social-libéralisme

     "Les temps durs ne s'accommodent pas d'une pensée molle", juge l'essayiste Raphaël Gluksmann, fils de feu André (associé au courant des « nouveaux philosophes ») dans un article intitulé « La gauche sociale libérale est morte » publié dans l’OBS le 24 décembre dernier. Il part sur l’exemple de Matteo Renzi qui vient d’être balayé en une journée de référendum.  Il prédit que « les sondages flatteurs d’une autre étoile "progressiste", Emmanuel Macron, n’y changeront rien : la crise politique, idéologique, philosophique du social-libéralisme surpasse les questions de casting. Elle révèle – paradoxe terrible pour une gauche dite "moderne" – une profonde inadéquation à l’époque. La "modernité" d’hier est devenue ringarde ». 

    Il se souvient des années 1990 quand « la mondialisation du marché, de la démocratie, de la culture occidentale constitue l’horizon indépassable du genre humain », quand les "progressistes" célèbrent leur triomphe.  Pour eux, « ceux qui s’obstinent à ne pas comprendre la marche du monde sont des "ploucs", des "attardés", une espèce en voie de disparition. Puisque tout roule, plus besoin de grande question, de grand combat ou de grand projet. A l’heure du laisser-faire, du laisser-aller, la puissance publique s’offre aux gestionnaires et aux communicants. Goldman Sachs et Euro RSCG mènent la danse. L’épanouissement personnel tient lieu de philosophie politique ». En décembre 1998, un sommet de l’Union européenne rassemblait à Vienne Gerhard Schröder, Lionel Jospin, Tony Blair et Massimo D’Alema. Il ne se passe rien. Ou presque. "90% de nos discussions furent consacrées à la question des magasins « duty free », regrette a posteriori Massimo D’Alema.

    Les origines de la débâcle se trouvent là, à Vienne. Les "progressistes" occidentaux sont restés dans une béatitude conceptuelle : le seul monde souhaitable possible est le leur.  La crise financière, le chômage de masse, les attentats djihadistes, le poutinisme ont fait exploser leur certitude mais pas leur entêtement. Les idées, les slogans, les partis sont devenus inaudibles.

    Et Raphaël Gulksmann constate : « Nous évoluons dans un champ de ruines idéologique, social et politique... »

    Il a raison d’ajouter « qu’il faut d’abord admettre que l’émancipation individuelle a supplanté l’horizon collectif ou que le multiculturalisme le plus fainéant a remplacé le récit à écrire et le projet à porter ensemble. Le social-libéralisme n’était qu’un renoncement à transformer un monde qui convenait parfaitement ». Il a raison de prescrire « qu’il est temps de remettre le commun au cœur de nos préoccupations. Ou le césarisme l’emportera partout. Les temps durs ne s’accommodent pas d’une pensée molle. L’esprit cool n’a plus droit de cité lorsque l’hiver est là. Nous sommes à l’année 0 du progressisme européen. Tout est à réinventer ».

    Fin de série du social-libéralisme Bien sûr, cet article est un raccourci orienté vers une conclusion en forme de prescription pour l’avenir. On y trouve cependant une analyse intéressante et une conclusion qui aurait dû s’imposer, dès 2012, à François Hollande. Martine Aubry avait parlé de « gauche molle » en visant l’actuel président de la république. Il a fait illusion par ses discours électoraux. Cette « gauche molle » est la continuation de la réunion de Vienne en 1998. François Hollande n’a rien réinventé. Il n’a été qu’une alternance dans la continuité de ses prédécesseurs. Il a tourné le dos à la gauche radicale. A l’heure du laisser-faire, du laisser-aller, la puissance publique s’offre encore aux gestionnaires et aux communicants, pour reprendre une phrase de Raphaël Gluksmann. Il a offert un ventre mou aux réacs et au populisme de l’extrême-droite. La crise politique, idéologique, philosophique du social-libéralisme surpasse les questions de casting, dit encore l’essayiste de père en fils. Elle révèlerait – paradoxe terrible pour une gauche dite "moderne" – une profonde inadéquation à l’époque. La "modernité" d’hier est devenue ringarde. Quelle modernité ? Quel progressisme ? Que ce soit la Droite, Hollande, Valls et la bulle médiatique Macron, ils n’ont que ces mots à la bouche. Suffit-il de dire qu’on est moderne et progressiste pour renvoyer la gauche dite radicale dans l’archaïsme, alors qu’elle n’a jamais exercé les pouvoir. Mitterrand a fait son virage libéral en 1983 et, depuis cette date, le parti socialiste est devenu un parti libéral qui s’est éloigné des valeurs de la gauche chaque fois qu’il a été au pouvoir. On l’a vu avec Jospin qui a été balayé aux élections présidentielles. Hollande n’aura fait qu’un seul quinquennat et laisse le parti socialiste divisé au point que son existence en est menacée. Mitterrand, Jospin et Hollande ont raté leur rendez-vous avec l’Histoire. Ils ont poursuivi une politique « faite à la corbeille », avec les ficelles du monde de la Finance dans le dos, à l’image d’une Europe sous influence.

    Quel progressisme ? Certainement pas social puisque les acquis ne cessent d’être remis en cause. Même pas économique si l’on regarde les résultats de la croissance et de la lutte contre le chômage. Et la Droite veut accélérer la régression sociale.

    Quelle modernité ?  Est-il moderne de revenir sur la durée légale du temps de travail, de l’âge de la retraite ? Est-il moderne d’aggraver les inégalités ? Fillon et Macron sont-ils plus modernes que Valls et Hollande ? Les déréglementations sont-elles des mesures modernes qui sécurisent les salariés ?

    Fin de série du social-libéralisme Raphaël Gluksmann a raison de dire que la gauche sociale-libérale est morte. Elle est morte parce qu’elle n’a été que libérale, en laissant croire que c’était le seul choix possible. Hollande et Valls ont voulu tuer le socialisme. Ils se sont tiré une balle dans le pied mais aussi ont divisé la gauche, entre le centre libéral qu’ils ont voulu incarner et le canal historique de la gauche. Ils se sont exclus d’une gauche qui ne les reconnait pas comme des leurs. Ils se sont laissé infiltrer par un cheval de Troie : Emmanuel Macron. Ce dernier nous joue une partition ni droite ni gauche. Ce paléo-moderne racole avec des slogans derrière lesquels on peut voir venir une politique ultralibérale voisine de celle de François Fillon. Quant à Valls, il est le frère siamois de Mateo Renzi et il subira le même sort, comme le PS subira celui du parti démocrate italien en pleine implosion.  

    2017, c’est l’occasion de changer la donne et de mettre fin à l’alternance libérale qui conduit à l’ultralibéralisme et la régression sociale. C’est une chance mais cela peut devenir un piège tendu par la comédie du langage des réactionnaires qui utilisent les mots « modernisme » et « progressisme » comme un vernis sur les vieux meubles d’un capitalisme rétrograde. Avec des modernes et des progressistes comme François Fillon, c’est le retour au 19ème siècle et à la restauration. Emmanuel Macron et Mabuel Valls, nous les avons vus à l’œuvre avec les lois Macron et la loi Travail dite El Khomri. Avec eux, les mots « révolution » et « révolte » perdent leur sens. Ils représentent un fin de série sociale-libérale qui solde son échec avec un Beaujolais nouveau, Emmanuel Macron. Un vin jeune mais pas nouveau.  Une piquette étiquetée "médaille d'or" par la presse de Patrick Drahi.

    Ne nous laissons pas abuser par le casting que nous vend la presse libérale, cette presse qui essaie de faire croire qu’il y a trop de fonctionnaires en France alors que les pays européens, souvent désignés comme exemplaires, en ont davantage par habitants, cette presse qui ment, en concert avec les politiciens, et veut faire croire que les chômeurs sont mieux indemnisé en France que dans les autres pays européens. C’est faux. Ils vont jusqu’à expliquer qu’il faut moins rembourser les frais et les congés de maladie pour lutter contre l’absentéisme. Ce sont des partisans de la double peine. Le malade doit aller travailler. Cela rejoint la privatisation de la Sécurité Sociale proposée (puis occultée pour raison de campagne présidentielle) par François Fillon qui prévoit que la Sécurité sociale ne rembourserait plus que les frais des longues maladies et des maladies graves. On peut supposer que le reste passant dans l’escarcelle du privé (en ce qui concerne les cotisations) sera nettement moins remboursé et incitera les travailleurs à être moins malades… ou, plus exactement, à moins se soigner, car c’est de cela dont il s’agit. Nous avons à faire à des technocrates libéraux qui ne regardent rien sous l’aspect humaniste. Ils n’ont qu’un dieu : le profit. Tout est produit à vendre avec un bénéfice, y compris la santé. Le travail entre dans les coûts à faire baisser. Le citoyen est devenu un consommateur.

    La Grande table de France Culture a reçu le philosophe Pierre Dardot, qui a co-écrit avec Christian Laval "Ce cauchemar qui n’en finit pas : comment le néolibéralisme défait la démocratie" (La Découverte, mai 2016), un ouvrage dans lequel les auteurs entendent démontrer que le néo-libéralisme n’est pas seulement une doctrine ou une politique économique, mais un « système politico-institutionnel » dans lequel la crise serait devenu un « mode de gouvernement » Voici l'enregistrement audio de l'émission radiophonique..


    Fin de série du social-libéralisme En attendant les élections présidentielles, pour celles et ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, vous avez jusqu’au 31 décembre pour le faire auprès de votre mairie. Ne restez pas passifs !  Les abstentions et les votes blancs n’ont aucun point après les élections puisqu’ils ne remettent pas en cause la légitimité des élus. Chaque candidat peut entrer à l’Elysée, même si seulement 40% des électeurs se sont déplacés. Vous pouvez agir pour que François Hollande soit le dernier monarque républicain en choisissant de vous joindre au vote de la « France insoumise » qui s'oppose à ce cauchemar qu'est le neo-libéralisme qui défait la démocratie.

    Jean Frade

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  • Commentaires

    1
    Lundi 26 Décembre 2016 à 20:41

    http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Ce_cauchemar_qui_n_en_finit_pas-9782707188526.html

     Un livre intéressant sur le néolibéralisme, ce cauchemar qui n'en finit pas. Comment expliquer l’étrange survie des forces pourtant responsables de la crise économique de 2008, l’une des pires depuis 1929? Comment expliquer que le néolibéralisme soit sorti renforcé de la crise ? Au moment de son déclenchement, nombre d’économistes parmi les plus célèbres avaient hâtivement annoncé sa « mort ». Ils n’ont vu dans la poursuite des politiques néolibérales que le résultat d’un entêtement doctrinal.

    Pour Pierre Dardot et Christian Laval, le néolibéralisme n’est pas qu’un simple dogme. Soutenu par des oligarchies puissantes, il est un véritable système politico-institutionnel obéissant à une logique d’auto renforcement. Loin d’être une rupture, la crise est devenue un mode de gouvernement d’une redoutable efficacité.
    En montrant comment ce système s’est cristallisé et solidifié, le livre explique que le verrouillage néolibéral a réussi à entraver toute correction de trajectoire par la désactivation progressive de la démocratie. Accroissant le désarroi et la démobilisation, la gauche dite « gouvernementale » a contribué très activement au renforcement de la logique oligarchique. Ceci peut conduire à la sortie définitive de la démocratie au profit d’une gouvernance expertocratique soustraite à tout contrôle.
    Pourtant, rien n’est encore joué. Le réveil de l’activité démocratique, que l’on voit se dessiner dans les mouvements et expérimentations politiques des dernières années, est le signe que l’affrontement politique avec le système néolibéral et le bloc oligarchique a déjà commencé.

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