• La comédie du langage électoral

    La comédie du langage électoralLe 13 décembre dernier France-Culture consacrait une émission sur le thème : "Petites gens", "France d'en bas"... Comment les responsables politiques désignent les classes populaires.

    Comment oublier les « sans-dents » de François Hollande, terme méprisant  employé en privé et sorti des 320 pages écrites par son ex-compagne. Toutefois, dans le discours public de nos politiciens, on trouve un florilège d’expressions entortillées, euphémismes maladroits, périphrases risibles, quand la sémantique trahit un problème politique.

    Jean-Pierre Raffarin avait choisi « La France d’en bas ». Manuel Valls a fait un autre choix. Lors de sa déclaration de candidature, il y a une semaine, il a parlé des "petites gens", on pourrait presque se croire dans une chanson de Pierre Bachelet qui dit « les petites gens, ça connaît la chanson ». Dans le discours de Marine Le Pen, les classes populaires sont souvent englobées dans des adjectifs : "les invisibles" ou "les oubliés". On en est encore à une vision romaine de la république avec sa noblesse, ses patriciens et la plèbe, c’est-à-dire celles et ceux que l’on nomme les « gens du peuple ». Nous nous sommes éloignés du rôle de chaque citoyen dans la démocratie athénienne.

    Les employés et les ouvriers représentent 55% de la population active, auxquels il faut ajouter les retraités modestes. L'enjeu électoral est important car il est impossible de gagner sans l'apport des classes populaires. Les politiques doivent faire oublier leur arrogance et se montrer connectés à la vie réelle. Nous l’avons vu avec Jean-François Copé et son pain au chocolat à dix centimes... Nous avons pu noter les efforts souvent brocardés d’Alain Juppé pour gagner de la popularité. Les politiciens sont conseillés et choisissent des mots qui ne doivent pas être blessants ou incompris. Emmanuel Macron, pas encore roué à cet exercice, avait évoqué les "pauvres qui prendront le bus". Le mot « pauvre » n’a pas la même résonnance dans la bouche d’un énarque né le cul dans le gâteau et dans celle d’un syndicaliste. Macron  a accumulé  les « gaffes » envers une classe populaire que, à l’évidence, il ne connaît pas si ce n’est par ce que l’on peut en dire dans la grande bourgeoisie provinciale et les arcanes du pouvoir, parmi les conseillers énarques. Le mépris fait toujours surface lorsque le langage n’est pas maîtrisé. Chassez le naturel, il revient au galop !

    Dans l’incapacité à trouver des mots simples et directs, le discours public préfère les longues périphrases. De qui parle-t-on avec ces "classes populaires" ? Le sociologue François Dubet note que ce bloc "classes populaires" n'est pas homogène, et l'est même de moins en moins. Le chômage et la précarisation du travail créent une palette de situations sociales fort diverses.

    Pour éviter ces inconforts linguistiques, certains ont trouvé des astuces. Par exemple, celle de définir le public dont vous parlez... par l’heure de son réveil. « La France qui se lève tôt », dit Nicolas Sarkozy : une formule qui a l’avantage de rassembler tous ceux qui souffrent un peu quand la sonnerie retentit. Cela fait du monde, mais ce n’est pas très précis.

    Si les politiques avaient lu les bandes-dessinées de Jul, invité de France-Culture, ils auraient pu emprunter le concept astucieux de "prolo-sapiens" (l'une des classes sociales dans "Silex and the city"). Et puis il y a la solution ultime, celle de Laurent Wauquiez, l’ex-patron par intérim du parti Les Républicains et actuel Président autocrate de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a résolu le problème sémantique : ne pas citer les catégories populaires, la méthode ultime pour ne pas commettre d'impair, surtout, si, comme lui, on sort une ânerie réactionnaire par discours contre les acquis sociaux.

    Comment des politiciens qui  ont un problème sémantique avec les « petites gens », (la « France d’en bas », les « sans-dents », les « invisibles », les « oubliés », les « gens qui se lèvent tôt » ou qui les met tous dans le générique « Classe moyenne », celle donc qui n’est pas riche), peuvent-ils obtenir les voix de celles et ceux qu’ils méprisent ? Ces derniers devraient mieux les écouter et mieux analyser leurs discours, surtout lorsqu’ils se présentent comme les candidats du travail, alors qu’ils sont issus de la rente de la bourgeoisie de province et du métier de la politique comme François Fillon, ou professionnels de la rente et de la spéculation financière comme Emmanuel Macron. Quant à Marine Le Pen, elle fait fructifier l’héritage politique de son père puisqu’elle est à la tête de  l’entreprise familiale qu’est, depuis son origine, le Front national. La suite est déjà assurée avec la nièce, Marion Maréchal Le Pen.

    Dans une librairie, j’avais feuilleté un petit opus intitulé « Dictionnaire des mots qui manquent ». C’est bientôt Noël et voilà un cadeau à offrir à ces politiciens à qui il manque les mots justes. Peut-être faut-il en inventer comme « paluchard » qui désignerait une personnalité politique dont l’activité essentielle consiste à serrer des mains.

    Ils ont besoins des classes populaires au moment des élections. Leurs efforts pour convaincre ne s’arrêtent pas aux choix des mots mais touchent le fond même de leurs promesses. On avait entendu François Fillon affirmait avec fermeté qu’il allait privatiser la sécurité sociale. L’impopularité de cette menace, sous forme de promesse, lui a fait la supprimer de son site de candidat. Cela ne veut pas dire qu’il y a renoncé. Il s’attache simplement à modifier son kit de présentation en s’interdisant le mot « privatisation ». « Si jamais, quand vous tombez malade, cela n'a aucun impact sur votre indemnité et votre salaire, ce n'est pas très responsabilisant. Du coup, on a un peu l'impression que la sécurité sociale est quelque chose sur lequel on peut tirer sans qu'il y ait un impact », avait lancé Laurent Wauquier sur BFM TV-RMC. Quel mépris pour les assurés sociaux lorsqu’ils sont malades ! Le commentateur Guy Carlier a répondu à l’outrance par une outrance en souhaitant à Wauquier un cancer du pancréas. Il ne faut pas abuser de la maladie et des médicaments, selon ce réac viscéral. Un malade devrait donc avoir un impact sur ses indemnités et son salaire et non pas que sur sa santé physique et mentale. La double peine responsabilise-t-elle au point de n’être plus malade ou plus soigné ? Le fond de la pensée des Ultralibéraux est dans cette déclaration révoltante. Ses intentions sur la sécurité sociale, Fillon les a annoncées dans la campagne des primaires de la Droite. Seul son discours va s’édulcorer dans la campagne présidentielle, pour tromper celles et ceux que Laurent Wauquier appelle la classe moyenne. Avec ces réactionnaires, les acquis sociaux vont fondre comme neige au soleil.

    Du côté de Manuel Valls, sa dernière grande annonce est que, si les portes de l’Elysée s’ouvrent à lui, il supprimera l’article 49.3 sauf pour les lois budgétaires. C’est comme si les six usages de cet article qu’il a faits étaient la faute de la constitution et du Président de la république qui l’a laissé faire. Il ne veut plus succomber à la tentation et se délivre du mal. Amen ! Celles et ceux qu’il nomme les « petites gens » étaient dan la rue contre la loi El Kohmri et n’ont pas la mémoire courte. Les lois Macron et El Kohmri, c’est lui qui les a faites passer en force parce qu’il n’avait pas la majorité parlementaire requise. C’est lui qui a usé de cette arme législative qu’il énonce aujourd’hui encore comme anti-démocratique. Il propose donc une lessive constitutionnelle qui le laverait de son passé de Premier Ministre.  Ce n’est qu’une stratégie. François Hollande et lui-même ont eu cinq ans pour supprimer cet article contesté par eux-mêmes à l’époque où ils étaient dans l’opposition. La question qui se pose est : « Manuel Valls aurait-il usé de l’article 49.3 pour supprimer l’article 49.3 ? » Avec lui, nous ne sommes pas à un « comble » prés.

    La comédie du langage électoralOn parle beaucoup de la politique "post vérité" depuis l'élection de Trump aux USA. C'est l'art d'asséner des mensonges avec assurance à une clientèle qui fonctionne plus à l'émotion qu'en faisant appel à la logique, à la vérité des faits. La jeune clientèle française de la politique "post vérité" se cherche un homme providentiel et croit le trouver chez celui qui, sur un slogan "en marche", la fait courir sans s'intéresser à ce qu'il dit et à ce qu'il est vraiment. Ces jeunes cherchent une idole, un mythe vivant. Un Rastignac comme Macron peut facilement les mystifier par des slogans vides et des idées faussement lumineuses ou modernes comme la suppression des allocations salariales de chômage et de maladie. Il ouvre des boîtes de pandore qui génèrent plus de problèmes que de solutions. Il fait du racolage électoral et a trouvé pour promouvoir sa candidature un patron de presse: Patrick Drahi, homme d’affaires sulfureux, surendetté et très influent pèse de tout son poids dans sa campagne. Ce dernier lui a même délégué l’un de ses meilleurs colonels: Bernard Mourad. Cela explique pourquoi Macron est soutenu par BFM/TV. Après avoir racheté SFR en 2014, Drahi a racheté NextRadio, propriétaire de BFM TV, en 2015. L’ensemble, appelé Altice Media, est fusionné par Mourad avec SFR en 2016. Il comporte d’autres titres bien connus comme l’Express qui, lui non plus, ne ménage ni son temps ni sa peine pour donner une bonne image de Macron. Vous trouverez sur le blog d’Eric Verhaeghe quelques éléments troublants sur les rapport entre Drahi et Macron en cliquant ICI. Lycéen de 15 ans, Macron jouait l’épouvantail dans la pièce de Jean Tardieu « La comédie du langage ». Il a fait profession de crier et de gesticuler sur une estrade pour faire courir celles et ceux qui se sont mis « en marche », alors qu’il devrait les épouvanter.

    Nous sommes entrés dans la comédie du langage électoral. Avec des mots, ils nous tricotent des mensonges. Il nous faudrait des parapluies de mots pour nous protéger des mots piégeurs, des mots auxquels ils font dire ce qu’ils veulent.  D’aucuns, avec des petits mots loquaces, nous préparent de grandes peines. Si les mots expriment des idées, exprimez vos idées avec vos mots. Ne vous les laissez pas volés par les politiciens  de la doxa libérale qui manipulent les esprits pour installer un pouvoir réactionnaire et autoritaire rendu possible par la constitution de la 5ème République qui fait de l’élection présidentielle l’alpha et l’oméga de la vie politique.

    Vivement une 6ème république plus démocratique, plus sociale et plus juste !

    Battone

     

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