• La doxa néolibérale

    BUDGET2014

    Personne n’est dupe et le manège entre Manuel Valls et François Hollande n’a pas échappé aux commentateurs en ce qui concerne le train des réformes. Tout le monde a compris que la préoccupation première est le passage du budget devant la Commission européenne et qu’il faut aussi ménager les frondeurs du parti socialistes. C’est le ministre du travail qui a envoyé le bouchon d’essai sur la révision du régime du chômage. Manuel Valls lui a fait écho à Londres devant la City, avant que François Hollande chante sa berceuse « prenons notre temps ». Emmanuel Macron y est revenu de façon plus appuyée et le même François Hollande a une fois encore calmer le jeu. On a l’impression que le Président fait le gentil et Manuel Valls, le méchant, comme dans les interrogatoires de police. Manuel Valls, le gentil, il l’a fait avec le Medef et, depuis lors, Pierre Gattaz se comporte comme un enfant gâté. Ce dernier a immédiatement saisi la perche sur le régime du chômage pour reprendre l’idée réactionnaire distillée stratégiquement par le duo Hollande/Valls en direction du conseil européen qui donnera son avis sur le budget de la France.

    Et dire que le candidat Hollande devait infléchir la politique de l’Union européenne en matière de déficit. Pour cela, il aurait fallu qu’il ne fasse pas du sarkozisme et qu’il revienne sur le pacte conclu par son prédécesseur avec Angela Merkel. Sarkozy est l’empereur du paraître et cela n’a pas échappé à la chancelière allemande. Elle l’a laissé se poser en « sauveur ultime de l’Europe » avec une exigence : la possibilité pour la Commission européenne de surveiller les budgets des pays membres de la zone euro et de punir si besoin ceux qui dérogent et, en définitive, de contraindre ceux-ci à se remettre dans les clous, autrement dit à modifier leurs budgets. Autant dire « un pacte d’austérité », car le terme « rigueur » est trop faible et apparaît comme un euphémisme au regard des reculs sociaux mis en place et promis. François Hollande a simplement obtenu que, d’abord nommé « mécanisme européen de stabilité »,  cette exigence allemande soit baptisée « pacte de stabilité et de croissance ».  Malheureusement la croissance n’est pas au rendez-vous et il ne reste que la stabilité initiale qui veut que la France réduise son déficit à 3% de son PIB. C’est la stabilité libérale qui ne profite qu’aux riches et au monde de la Finance. En l’absence de croissance, ce sont les peuples qui paient.

    Ce pacte est une atteinte grave à notre démocratie et le Front de gauche n’a cessé de le dénoncer. Nous ne sommes plus maîtres de nos réformes qui ont pour seul but la réduction du déficit. Nos représentants votent l’impôt et les dépenses de l’Etat sous tutelle européenne et il est établi que l’Allemagne est le gardien du temple libéral en vertu de ses résultats économiques et d’une austérité mise en place par le social-démocrate Gerhard Schröder, jamais remise en cause tant qu’elle profite au patronat d’Outre-Rhin.

    michelsapin

    Notre ministre des finances, Michel Sapin, vient d’expliquer que le vote du parlement français sera souverain et que la Commission européenne n’a absolument pas le pouvoir de « rejeter », « retoquer » ou « censurer » » un budget national. Il qualifie de « matamores » ceux qui disent le contraire. Il oublie sans doute que la Commission peut porter le budget non conforme au pacte de stabilité et de croissance devant le conseil européen. Gare à ceux qui ne se plient pas aux exigences comptables ! Ils se verront infliger une amende qui peut atteindre 0,2% du PIB.  En 2013, le PIB de la France a été de 2 054,7 milliards d’euros. Faites le calcul : l’amende peut aller jusqu’à 4 milliards d’euros. Le montant des économies budgétaires prévues est de 21 milliards  pour réduire le déficit 2015 à 4,3%  alors que Michel Sapin déclarait, avant la publication des chiffres d’une croissance atone,  que l’objectif des 3% (déjà repoussé en 2013) devait être maintenu en 2015. On sait que les réductions des dépenses de 21 milliards (prévus en 2015) passent par des coupes importantes qui vont toucher tous les ministères et les emplois de fonctionnaires, donc la bonne marche du service public déjà mise à mal par Sarkozy. Toutes pénalités financières de la part du Conseil européen ne fera qu’aggraver le budget national et le plan de 50 milliards d’économies d’ici 2017 sera insuffisant. La droite parle  de 100 à 120 milliards d’euros d’économie pour atteindre l’objectif des 3% qu’impose le pacte de stabilité, faute de croissance et d’inflation. On connaît déjà les conséquences sur le budget des armées au moment où la France est engagée dans des conflits (7500 postes supprimés, des navires désarmés et la fermeture du Val de Grâce sont au programme des économies. Pour ce qui est des ressources financières, l’Etat va vendre des actifs dont des participations dans des entreprises pour 5 à 10 Milliards d’euros.

    Des expertises rendues publiques font état de la lente dégringolade des taux de croissance depuis plus d’un demi-siècle, la crise déclenchée en 2007 dans la sphère financière venant en quelque sorte s’inscrire dans cette dynamique longue. François Hollande et Manuel Valls continuent à croire qu’ils vont obtenir un redémarrage significatif de la croissance économique avec le CICE et le pacte de responsabilité, malgré l’absence de résultat d’une politique libérale et antisociale dont le cap n’aura pas changé à temps. La « compétitivité » reste le mot-clé de leur manque de vision politique. Ils s’entêtent alors que, même en Allemagne, la polémique existe sur la politique économique orientée vers une exportation en régression au détriment du marché intérieur, c’est-à-dire du train de vie des Allemands. En France, les réductions des indemnités de chômage n’auront aucune incidence sur la croissance et jetterons dans la misère encore plus de chômeurs en fin de droit. Ce n’est pas en aggravant le régime du chômage que l’on crée de l’emploi. La compétitivité et les exportations ne doivent pas être développées au détriment du marché intérieur et du train de vie de la grande majorité des Français : les plus pauvres et les classes moyennes.

    Pas le moindre rebond de croissance aujourd’hui  mais, au contraire, une croissance en berne dans toute l’Europe, résultat des politiques d’austérité imposées aux peuples. Cette politique ne fait qu’enrichir les plus riches et augmenter le nombre de chômeurs et de familles dans la précarité. Elle ne fait que creuser les inégalités et favoriser les égoïsmes au détriment de la solidarité. Elle mine les marchés intérieurs.

    En France, maintenant que nous avons un conseiller européen, ancien ministre des finances de Jean-Marc Ayrault, tout laisse à penser que les restrictions budgétaires vont s’aggraver bien au-delà des montants prévus. N’oublions que Moscovici, recasé à la commission européenne, a déjà annoncé qu’il prenait sa tâche à cœur pour faire respecter les règles européennes. Du reste, François Hollande et Manuel Valls répètent qu’ils sont respectueux de ces règles mais vont demander l’indulgence de la commission européenne… Nous ne pourrons pas atteindre l’objectif d’un déficit à 3% du PIB mais, sous la pression de la commission européenne, tout va être fait pour s’en rapprocher davantage par de nouvelles mesures antisociales, qui font le bonheur de Pierre Gattaz et du Medef.

    François Hollande n’a pas inversé la courbe du chômage.et veut faire courber l’échine au peuple chaque fois qu’il faudrait faire preuve de convictions politiques, préférant les compromis avec le patronat. Il est incapable de redresser les courbes économiques, pas plus que son entourage. Récemment, Emmanuel Macron a choisi une courbe philosophique. Il souhaite inverser la courbe du doute : "Je ne suis là que pour ça : c'est ma mission, sous l'autorité du Premier ministre", affirme-t-il. Il se donne six mois. De quel doute peut-il s’agit ? Dans six mois, cela correspond aux élections cantonales. S’agit-il du doute des électeurs qui ne voteront plus pour le PS ? Ou bien du doute des instances européennes sur le cap libéral choisi par François Hollande et Valls ? Il doit y avoir un peu des deux. Voilà donc Emmanuel Macron, jamais élu, pur produit de la technocratie, dans le rôle de nouveau vizir sous les yeux du calife (encore un bon mot de Mélenchon), qui continue à se farder en homme de gauche. La courbe du doute ? Nous sommes dans la communication et non pas dans la réalité économique. Les idéaux de gauche ne sont qu’un vernis sur leurs discours et vite oubliés dans leurs actes.

    L’Assemblée nationale vient d’entamer la discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2015 ainsi que du projet de loi de programmation des finances publiques 2014-2019. Aujourd’hui est la date butoir pour la transmission  des projets nationaux de budget à la Commission européenne qui va évaluer l’effort fait par la France en« déficit excessif » et pourra envoyer un « avis négatif » d’ici la fin du mois d’octobre. Ensuite les ministres des Finances se réuniront fin Novembre pour désigner les mauvais élèves.

    Michel Sapin l’a réaffirmé dans l’Hémicycle, il n’y aura pas d’augmentation d’impôts en 2015, après une pression fiscale de 4 ans et il a confirmé  la suppression de la première tranche d’impôt à 5,5 %, malgré l’opposition du PRG qui a menacé de quitter le gouvernement. Cette suppression doit être couplée avec une revalorisation de la décote et l’abaissement parallèle de l’entrée dans la tranche à 14 %. Elle est censée bénéficier à 9 millions de foyers fiscaux, pour un coût estimé à un peu moins de 3,2 milliards d’euros.

    Grâce aux 50 milliards d’économie, au le CICE et au pacte de responsabilité, le gouvernement compte sur la reprise des investissements. Alors que les deux premiers semestres 2014 enregistrent un recul de 0,7% et 0,8%, l’espérance est placée à plus 0,9% d’investissements. Nous subissons une gestion comptable et financière, coupée des réalités sociales. Les politiques se déterminent en fonction de courbes, de pourcentages, de milliards d’euros, d’intérêts bancaires… Ils polémiquent sur le montant de l’ardoise à faire payer au peuple et non pas sur les moyens de sortir de la crise définitivement. Il est établi une fois pour toute que le libéralisme économique et le capitalisme étaient le présent et l’avenir de l’Humanité et c’est à elle de s’adapter. Il n’y a pu de débats d’idées, plus de valeurs à défendre en dehors de l’Euro.  Il n’y a plus de tabou, plus de totems sociaux pourtant édifiés de longue lutte. L’avenir serait derrière nous. Il faudrait, dans l’ordre capitalisme, revenir au passé en remettant en cause tous les acquis sociaux, en nous faisant perdre chaque jour davantage la maîtrise de nos existences. Ils veulent nous soumettre à la violence économique qu’ils nous font déjà subir, nous faire l’approuver. La droite a construit une Europe de la Finance et du patronat. La Gauche devrait travailler à en modifier les règles. Force est de constater que François Hollande n’a pas montrer la détermination à construire une Europe des peuples et ne fait que se conformer aux règles budgétaires d’une Europe des finances qui prolonge la crise au bénéfice des plus riches. Force est de constater que François Hollande, Manuel Valls et consorts ont brouillé l’image de la Gauche en menant une politique de droite qui justifie la contraction UMPS utilisée par le Front National dans sa stratégie hypocrite et cynique de récupération des combats de la Gauche pour en détourner les électeurs vers son fonds de commerce : la xénophobie.

    Le budget 2014 est un budget démagogique de crise, un budget attentiste, contracté sur un déficit qui ne peut être réduit sans imposer une politique d’austérité encore plus insupportable et contre-productive. Il est dans le droit fil de l’abandon du socialisme pour une social-démocratie libérale proche du patronat. Il abandonne le social, la culture et l’écologie.

    On a compris que la transition écologique n’est pas une urgence budgétaire. On se souvient du limogeage de la ministre de l’écologie Delphine Batho qui avait osé exprimer sa déception de voir que le budget de son ministère avait été le plus atteint par la rigueur de Jean-Marc Ayrault. Aujourd’hui Ségolène Royal ne sait pas encore par quelle ponction fiscale, l’écotaxe va être remplacée. Son idée de taxer les sociétés d’autoroutes et de les rendre gratuites le week-end  n’a pas fait long feu à Matignon.

    On sait que la politique de réduction du déficit conduit aussi à des réductions de la contribution de l’Etat aux finances locales. Nos impôts locaux ne vont pas cessé d’augmenter, malgré la réforme des régions mal perçue par bon nombre de provinciaux et leurs élus.  

    Les Solfériniens ont découvert sous la présidence de François Mitterrand l’Amérique avec le néolibéralisme. Dans une interview donnée 9 juin 2011 à Média libre, Jean-Pierre Chevènement rappelait les premières étapes qui nous ont conduites où nous en sommes :

    « L’Acte unique européen, négocié par Roland Dumas, et la libération totale des mouvements de capitaux, y compris vis-à-vis de pays tiers, ou l’abandon de la clause d’harmonisation fiscale préalable qui figurait dans le traité de Luxembourg. Ou encore le Matif [Marché à terme international de France], créé en 1984, et la loi de libéralisation financière, en 1985. Tout cela était une manière de mettre Margaret Thatcher au cœur de la construction européenne, d’accepter d’abandonner l’Europe, pieds et poings liés, au capitalisme financier. En critiquant ces choix, je n’ignore pas l’existence du monde extérieur, mais on n’était pas obligé d’appliquer toutes les règles de la doxa néolibérale. On aurait pu maintenir quelque chose ressemblant à une économie mixte. L’Etat pouvait garder la maîtrise de quelques mécanismes de régulation essentiels. L’idéologie néolibérale a fait admettre comme vérité d’évangile que, grâce à la désintermédiation bancaire, les entreprises s’alimenteraient à plus faible coût sur les marchés financiers. L’entrée dans une mécanique irréversible en souscrivant à toutes les dérégulations prévues par l’Acte unique, la libéralisation des mouvements de capitaux, l’interdiction des politiques industrielles et des aides d’Etat, l’introduction de la concurrence dans les services publics, tout cela, personne ne nous le demandait vraiment ». Aujourd’hui, si la référence à Thatcher reste occultée, Sarkozy s’est accouplé politiquement à Angela Merkel et François Hollande suit l’exemple de Gerhard Schroeder. Le modèle libéral anglo-saxon est un moule obligé.

    tirole

    Un Français a obtenu le prix Nobel de l’économie 2014. Jean Tirole est décrit par le collectif Attac comme un néolibéral dogmatique « pour lequel la fonction économique essentielle de l'État est d'étendre la logique des marchés à l'ensemble des domaines de la vie sociale". Laurent Mauduit, le cofondateur du site d'information Médiapart le décrit lui comme "l'un des principaux promoteurs en France de l'OPA du monde de la finance sur l'enseignement et la recherche économique de pointe à l'université" dans un billet intitulé "Jean Tirole, le prix Nobel des imposteurs de l'économie"… Laurent Mauduit commence son article par : « C’est sans grande surprise, un concert de louanges qui a accueilli l’attribution du « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en l’honneur d’Alfred Nobel » - improprement appelé prix Nobel d’économie - au Français Jean Tirole. Du ministre de l’économie, Emmanuel Macron, jusqu’à Jacques Attali, en passant par Najat Vallaud-Belkacem ou encore Valérie Pécresse, ce sont des applaudissements venus de tous les horizons qui ont salué le président et fondateur de l’École d’économie de Toulouse, par ailleurs professeur invité au célèbre Massachusetts Institute of Technology… »  Jean Tirole aime les paradoxes comme « à force de trop protéger les salariés, on ne les protège plus du tout » et c’est sur ce postulat qu’il propose sa réforme du travail.

    Aujourd’hui, l’une des têtes pensantes du capitalisme actionnarial est Jean Tirole, pour quil’entreprise n’a d’autre vocation que de maximiser les dividendes des actionnaires, et les autres parties prenantes doivent s’en remettre à la providence de l’Etat ! D’autres économistes sont tenus à l’écart des projecteurs de l’actualité, comme notamment les économistes atterrés, parce qu’ils défendent des alternatives économiques que l’impasse capitaliste de la doxa libérale. Site « Economistes atterrés » en cliquant ICI.

    Il est évident que le prix Nobel d’économie est réservé à la pensée économique unique qui fait du libéralisme, une doxa rejetant toute idée d’égalité, de partage et de solidarité. C’est aussi à travers ce prix prestigieux de l’économie que les pensées de la classe dominante restent les pensées dominantes. La classe qui détient la puissance dominante matérielle de la société reste la puissance dominante spirituelle à travers la presse et une légion de chercheurs patentés. Elle a aussi son prix de l’économie libérale.

    La doxa politique libérale veut que le budget de la France ne soit qu’un rouage de l’économie de marché et du libre-échange. Le parlement et la commission européenne iront finalement dans le même sens, celui de la réduction du déficit. Les jeux sont faits, rien ne va plus. On va encore nous expliquer que, dans l’austérité baptisée « rigueur budgétaire », se trouve notre salut. Finalement l’économie libérale pour le peuple, ce sera encore « à qui perd gagne ». Pour les plus riches et les spéculateurs, c’est « toujours gagnant ».

    U barbutu

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