• La vie privée, ça se discute...

    En décembre dernier, le projet de loi de programmation militaire a été adopté par nos parlementaires. La loi permet à plusieurs ministères d’autoriser la surveillance en temps réel de tout citoyen lambda sur une simple demande administrative. Ainsi l’Etat pourra collecter des informations et documents de nature personnelle auprès des fournisseurs d’accès à Internet et opérateurs de télécommunication, mais aussi des hébergeurs et fournisseurs de services en ligne. Aucune garantie et aucun mécanisme de contestation n’est prévu pour assurer le respect des droits de ceux qui font l’objet de ces intrusions. Cette loi rendra permanents des dispositifs de surveillance qui n’étaient jusqu’à présent que temporaires et exceptionnels.

    En août 2013, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire sur les surveillances opérées par la NSA en France, à la suite du dépôt d’une plainte de la FIDH et de la LDH, le 11 juillet 2013. Les gouvernants des pays européens s’étaient offusqués et avaient protesté auprès de Barak Obama.Curieusement le gouvernement a institutionnalisé un système de surveillance informatique et de collecte des données personnelles qui ressemble fortement à celui de l’agence américaine.

    Depuis lors la quenelle occupe les menus médiatiques qui offrent en dessert la liaison de François Hollande avec une actrice. Notre président s’offusque de la violation de sa sphère privée alors que son gouvernement et  sa majorité ont voté une loi qui, selon la ligue des droits de l’Homme et la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, menacerait celles de tous les Français. Dans le même temps, on apprend que le Projet de Loi sur la protection des sources des journalistes n’est plus d’actualité et la discussion repoussée à des jours meilleurs, sur injonction de deux ministres et notamment du Ministre de l’intérieur.

    Nous ne sommes pas dupes. Pendant que la presse glose sur la quenelle et les escapades amoureuses de François Hollande, elle ne parle plus de la levée d’immunité de Serge Dassault et du rôle de VIP joué par notre Président pour vendre le Rafale. L’actualité sociale et ses luttes sont passées presque sous silence. Toutefois, comment pourrait-on considérer que les aventures amoureuses d’un Président qui trompe sa concubine installée à l’Elysée n’aient pas d’incidences politiques. Si l’appartement servant de lupanar présidentiel pouvait représenter un risque de scandale politique, cela pose la question de l’image du Président qui aurait dû être informé du risque médiatique par son ministre de l’Intérieur. Tous les policiers savent qu’un Président se rend à une adresse après une enquête policière serrée du voisinage. En théorie, l’appartement utilisé ne devait avoir aucun secret pour le service de sécurité et tous les occupants de l’immeuble ont dû être identifiés. Leur sphère privée a donc dû être envahie pour le bon plaisir « privé » du Président. Si leurs données de connexion à l’Internet ont été obtenues depuis la promulgation de la loi de programmation militaire, les services du Ministère de l’Intérieur pouvaient même suivre leurs comptes sur les réseaux sociaux. Si son service de sécurité n’a pas fait son travail et ainsi mis en danger sa personne, c’est la sécurité de l’Etat qui a été négligée. Que se serait-il passé si le paparazzi présent devant la porte de l’immeuble avait été un terroriste armé ? Certains évoquent la responsabilité éventuelle de Manuel Valls bien informé qui aurait fait le canard.  Le Monde qui  a défendu la loi de programmation militaire et voyant derrière ses détracteurs les lobbies de l’Internet vient de sortir la théorie d’un complot fomenté par Sarkozy avec ses taupes restées au Ministère de l’Intérieur et dans le service chargé de la sécurité présidentielle. Le problème n’est pas qu’un magazine comment Closer a sorti l’information à scandale mais que ce journal ait pu la sortir, ce qui pousse à s’interroger non pas sur sa fidélité amoureuse d’un homme mais sur sa fiabilité politique d’un Président. Pour le reste, nous savons toute la capacité de nuisance de son prédécesseur à l’impopularité duquel il doit son élection. Il semble l’avoir oublié, comme il a oublié la phrase qu’il a prononcée à la suite d’un des syntagmes de sa célèbre anaphore : « Moi président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire ». Et qu’il ne nous dise pas aujourd’hui que l’exemplarité concernait le Président normal  qu’il est devenu et non pas l’homme libertaire qu’il est resté.

    Le coprésident du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, a pour sa part accusé le chef de l'Etat de "tartufferie". "Tartuffe il l'est. Il est surtout victime de cette habitude de penser qu'il peut rouler tout le monde", a déclaré lundi ce chef de file du Front de gauche à LCI et Radio Classique. Avec lui, "la tartufferie est permanente", a-t-il insisté."On voit bien qu'il y a un impact public au moins sur un plan : ça nous intéresse, la sécurité du président. On ne peut pas considérer que c'est son affaire privée de savoir s'il est en sûreté ou pas", a poursuivi Jean-Luc Mélenchon.

    François Hollande joue le protecteur de la vie privée lorsqu’il s’agit de la sienne. Sa liaison avec une actrice ne doit pas faire oublier qu’il mène une politique économique libérale compensée par une politique sécuritaire dont le fer de lance est Manuel Valls. Il maintient le désordre économique avec ses conséquences sociales tout en voulant instituer un ordre policier. Certes Dieudonné est un antisémite mais la quenelle surmédiatisée ne doit pas devenir l’emblème scandaleux du « vote utile » et de censures à venir. Une justice administrative ne devrait pas prendre le pas sur le pouvoir judiciaire avec des règlements et lois pouvant mettre en danger les libertés publiques et la protection de la vie privée.

    L’article 20 de la dernière loi de programmation militaire votée est défendu par les partisans médiatiques du PS. Selon ces derniers, elle n’instituerait pas une «surveillance généralisée », « à moins de considérer qu'une majorité de nos concitoyens œuvre à la destruction de notre système démocratique, car seuls les terroristes, les espions ou les factieux seraient légitiment en mesure de se plaindre d'une potentielle atteinte à leurs libertés individuelles ! Et à ceux qui pointent du doigt la dérive opérée par la NSA sur la base des mêmes motifs, nous rappellerons que la France n'a jamais institué un régime d'exception (à l'instar du Patriot Act) et qu'elle n'en aurait d'ailleurs pas les moyens constitutionnels ou juridiques – en raison notamment des obligations découlant de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que notre pays a signée et ratifiée ». Le texte adopté, en même temps qu'il octroie des capacités juridiques aux services spécialisés, les encadrerait très strictement et ne créerait pas de nouveaux moyens. Elle unifierait et clarifierait le droit, condition indispensable pour un contrôle démocratique. Le secret des correspondances resterait sanctuarisé par l'article L241-1 du code la sécurité intérieure, alors que les articles 226-1 et suivants du code pénal protègeraient la vie privée de nos concitoyens.  Ces deux verrous ne seraient pas affectés par la LPM. Les services de renseignement ne pourraient pas accéder aux contenus mais uniquement aux données techniques de connexion. Jamais les agents des services spécialisés n'accéderont, disent-ils, directement au réseau, comme le souligne  l'article L.246-3 institué par la LPM. Seules les données de connexion seront donc transmises par les opérateurs aux services sous le contrôle de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui se serait toujours montrée indépendante et intransigeante.

    Nous aimerions croire à cet esprit de la loi et à l’indépendance du CNCIS, mais nous nous interrogeons sur ce qu’il est possible de faire hors la loi avec les données de connexion ?

    La loi a été promulguée le 18 décembre 2013. L’article 20 – anciennement article 13 – de la LPM  fait polémique car il élargit le régime d’accès aux données de connexion des internautes, c’est-à-dire la surveillance des individus via leurs données numériques. Les motifs pour invoquer le dispositif sont plus nombreux : sécurité nationale, sauvegarde du potentiel scientifique ou économique français, criminalité et délinquance organisée, prévention du terrorisme, reconstitution ou maintien de groupements dissous ; les acteurs aussi : services de police et gendarmerie (comme auparavant) mais aussi agents habilités des services des ministères de la Défense, de l’Economie et du Budget ;  les moyens sont élargis : la géolocalisation en temps réelle est autorisée ; le contrôle est non judiciaire : une « personnalité qualifiée » rattachée au Premier ministre aura le dernier mot quant à la validation ou au rejet des demandes. Nous ne sommes pas encore entrés dans un monde orwellien avec son « Big Brother », certes ! Peut-être y avons-nous mis un pied.

    On relève que la loi a été votée par le Sénat le 10 décembre…  c’est aussi la date de l’anniversaire de la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que la Journée mondiale des droits de l’homme. Drôle de façon de fêter ça ! Une saisine du conseil constitutionnel avait été envisagée par l’UMP et certains écolos. Finalement, cela ne s’est pas fait. La messe est dite. Les dés sont jetés, rien de va plus ! Il ne reste plus qu’à jouer à la roulette russe avec la démocratie.

    Les services de police ont, depuis longtemps, la possibilité de pratiquer des écoutes dites administratives (donc non autorisées par commission rogatoire d’un magistrat). Dans le langage policier, ces écoutes sont appelées « les GIC » (Groupement interministériel de contrôle). On se souvient des écoutes dites de l’Elysée sous la présidence de François Mitterrand. Il s’agit d’une pratique qui, lorsqu’elle est décidée au plus haut niveau de l’Etat (via le Premier Ministre) ne rencontre pas de réels obstacles. Le contrôle est de forme. Il entérine plus qu’il n’interdit. En serait-il déjà de même avec la surveillance des internautes ?

    La loi votée en décembre dernier ne fait certainement que légaliser des pratiques,  ce qui nous laisse penser que la loi peut aussi ouvrir légalement la porte à des abus. Ces abus peuvent d’ailleurs concerner la Corse où le seul fait d’être indépendantiste ou de fréquenter un bistrot peut classer une partie de nos compatriotes dans l’une des catégories visées. A partir de quel critère, devient-on à priori terroriste, factieux ou criminel ? Si on en juge par la politique corse du gouvernement, son action apparaît davantage judiciaire et policière que sociale. Les arrestations se succèdent alors que le dossier de la SNCM fait l’objet d’une gestion aléatoire qui a conduit à une grève pouvant être évitée. Il faut dire que notre ministre de l’intérieur, pulvérisateur de quenelles, jugent les Corses culturellement violents et complices du grand banditisme. Le nombre des « terroristes et des parrains corses » surveillés risque d’augmenter considérablement avec lui.

    La loi de programmation militaire nous amène au voyage de François Hollande en Turquie. Il est prévu pour les 27 et 28 janvier prochains. Dans ce  pays au lourd  passé,  on s’interroge sur l’utilisation faite d’une telle loi par le dictateur turc Erdogan qui dénonce des complots dès qu’éclate des troubles sociaux. Il voit des ennemis extérieurs partout alors qu’il fait l’objet d’une contestation populaire et que son entourage est empêtré dans des scandales financiers. A une autre époque, dans ce qui constituait l’empire ottoman, les Arméniens ont été considérés comme des ennemis de la Turquie et exterminés sous le prétexte d’un complot extérieur. Les données de connexion permettent de géo-localiser tout internaute, de connaître ses relations, ses goûts, ses opinions… Elles sont précieuses pour les dictateurs. Elles sont utilisées pour contrôler l’espace de liberté que représente le Net.   

    Nous savons que la France dispose d’un savoir-faire en matière de surveillance informatique. On se souvient qu’une société française a vendu du matériel sophistiqué à Kadhafi avant que ce dernier ne devienne l’ennemi N°1 d’un Sarkozy qui l’avait pourtant reçu très amicalement et en grandes pompes. Aujourd’hui, on peut se demander le but de la visite de François Hollande en Turquie. Est-ce pour plaider la cause de tous les détenus politiques dont la vie privée a été violée et qui sont emprisonnés. Ou bien pour vendre une centrale nucléaire clé en main en échange de l’appui diplomatique de la France dans l’Union européenne et de l’oubli des promesses faites aux Arméniens de France d’une nouvelle loi de pénalisation du négationnisme englobant celui du génocide arménien ?

    Le  scandale de la NSA nous rappelle que des moyens techniques n’ont pas besoin d’une loi pour violer la vie privée. Avec ces moyens et la communication des données de connexion, on peut jouer plus facilement au Big Brother.  Aucun sanctuaire privé n’est véritablement « sacralisé » lorsque l’on ouvre des portes législatives à sa violation. De même la liberté d’expression, si elle a des limites, est dangereusement menacée par la censure administrative dite préventive. En Angleterre, les empreintes de 300 000 enfants ont été enregistrées sans l'accord des parents. Jusqu’où ira-t-on ? Peut-être jusqu’à implanter une puce dès la naissance comme on le fait déjà pour les animaux domestiques et les viandes pour leur traçabilité.

    Le libéralisme économique n’a de lien avec les libertés que la racine du mot. Les Libéraux veulent faire croire que la liberté économique est fondamentale alors qu’elle n’assure pas la liberté de tous mais seulement celle de quelques uns. Pour se maintenir en période de crise, les tenants du libéralisme ont recours aux thèmes sécuritaires en étendant le pouvoir réglementaire et policier. Plus le sentiment d’insécurité est accru par des campagnes médiatiques, plus les atteintes aux libertés fondamentales se multiplient.

    Au nom de la cohésion sociale, la politique se dissous dans la police. L’alternative devient une alternance. Le passage de droite à gauche devient un stationnement alterné sur une même route. Le Front de Gauche offre une véritable alternative, c’est-à-dire un changement de route, la prise en main de notre destin commun vers plus d’égalité, plus de liberté et plus de fraternité.

    Pour clore notre propos sur de vraies paroles de gauche, nous faisons appel à la voix, la flamme, la stature et la barbe de Jean Jaurès qui nous a laissé un testament en forme de conseil lapidaire pour « marcher dans le chemin sombre qui mène à la justice, pour rallumer tous les soleils… »

    «  Le pays de France, nous dit-il, ne saurait se passer longtemps d’idéal. Or la liberté étant sauvée, de quel côté pourra se tourner le besoin renouvelé d’idéal, si ce n’est vers la justice sociale ? »

    Ce n’est pas la parole de François Hollande qui rallumera tous nos soleils et sa présidence n’entrera pas ni au Panthéon de l’Histoire ni dans l’histoire de la Gauche si ce n’est comme une falsification car cette histoire ne lui a enseigné qu’à la falsifier et la trahir.

    Quant à sa vie privée, elle ressemble à un vaudeville et amuse plus qu’elle ne choque, en ridiculisant un peu plus l’homme dans sa fonction. Affligeante, c’est le seul qualificatif qui convient. On pensait que la présidence de la République avait touché le fond avec Sarkozy mais, restée dans la presse people, elle est simplement passée de Match à Closer.

    U Mustacciutu

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