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Le pistolet 49.3 sur la tempe des frondeurs
On s’y attendait dès la publication du projet de Loi El Khomri. La session s’est ouverte. La Ministre du travail a rapidement bloquer le débat parlementaire. Aujourd’hui, Manuel Valls a annoncé le recours à l’article 49.3 pour que la loi ne soit pas dénaturée car, selon lui, elle fera progresser le droit des salariés. « L'exécutif a décidé de recourir à cette arme constitutionnelle "parce que la réforme doit aboutir, parce que le pays doit avancer, parce que les relations salariales et les droits des salariés doivent progresser » a argué le Premier ministre. Il en a fait, en réalité, un problème personnel avec le soutien de François Hollande. Les concertations n’ont été qu’une mise en scène avec le secrétaire de la CFDT qui, aujourd’hui, défend encore le projet de loi et dit qu’il n’est pas intéressé par la façon dont cette loi va être adoptée. Pour lui, l’essentiel est que la loi passe.
Depuis le début, Manuel Valls et les deux ministres associés à ce projet (El Khomri et Macron) répètent que l’esprit de la loi ne sera pas modifié. Les conditions assouplies de licenciements économiques ont été conservés. La hiérarchie du droit du travail a été inversée : l’accord d’entreprise va prévaloir sur l’accord de branche qui va prévaloir sur le code du travail. L’égalité des conditions de travail sera rompue. Selon les entreprises, les droits ne seront plus les mêmes et dépendront des rapports de force entre salariés et employeurs. C’est ce que Manuel Valls et consorts appellent le dialogue social. C’est aussi une contre-révolution qui cible les grands syndicats, en premier lieu la CGT et FO. Nous ne rentrerons pas dans les détails de cette loi qui réservera bien des mauvaises surprises car les points évoqués suffisent pour expliquer son rejet et la tension sociale qu’elle génère.
Il y a quelques années François Hollande dénonçait de façon virulente l’article 49.3 comme une atteinte à la démocratie. Il a dit devant les caméra que le 49.3 est une brutalité, un déni de démocratie. Lui et Valls ont oublié qu'ils se sont indignés du recours à cet article. En 2008, alors député de l'Essonne, Manuel Valls avait signé un amendement dans lequel il était indiqué que "seuls des textes très particuliers tels le projet de loi de finances ou le projet de loi de financement de la Sécurité sociale doivent pouvoir être adoptée par la voie de l'article 49, alinéa 3". Si cet amendement avait été adopté, le Premier ministre de 2016 aurait dû passer par un vote pour faire adopter la loi Travail. Aujourd’hui il trouve que l'article 49.3 est un outil constitutionnel qu’il affectionne tout particulièrement. Le Chef de l’Etat et son Premier ministre viennent de mettre la goutte d’eau qui fait déborder le vase, en choisissant le passage en force sans débat et sans vote. Les députés de la majorité sont pris en otage et les mouvements sociaux sont méprisés. C’est une responsabilité grave de conséquences dont on ne peut encore mesurer l’ampleur.
Pour contrer le recours à l’article 49.3, il faut le dépôt d’une motion de censure. Dans la Constitution de la Cinquième République, la motion de censure spontanée est un moyen de contrôle de l'Assemblée nationale sur le gouvernement. Elle permet aux députés de montrer qu'ils désapprouvent la politique de l'exécutif et ainsi, de la remettre en cause. Rappelons que théoriquement, l'Assemblée nationale a «droit de vie ou de mort» sur le gouvernement. Encore faut-il, pour contraindre le gouvernement à démissionner, que la motion soit signée par un dixième des députés, soit 58 voix, et votée à la majorité absolue, soit 289 voix. A partir du dépôt de la mention, les députés ont un délai de réflexion de 48 heures avant de la discuter.
La Droite a déposé une motion de censure qui est d’une grande hypocrisie parce qu’elle considère, avec le Medef, la première mouture de la loi vidée de sa substance, les indemnités forfaitaires aux Prud'hommes n'étant plus données qu’à titre indicatif. La Droite veut le projet de loi Medef. En outre, cette droite arrogante voudrait que les patrons soient à l’initiative des accords d’entreprise.
D’un autre côté, le Front de gauche et les Verts font appel aux frondeurs du parti socialiste pour déposer une motion de censure de gauche conforme aux aspirations de la contestation populaire.
Manuel Valls a sorti l’arme constitutionnelle 49.3. Il l’a mise sur la tempe des frondeurs du parti socialiste. Jean-Christophe Cambadélis a mis une ligne jaune à ne pas dépasser. Voter la motion de censure entraînerait l’exclusion du PS et la perte de l‘investiture pour les prochaines élections législatives. Déjà les journalistes politiques des chaînes de télévision pronostiquent que la motion de censure ne réunira pas les 289 voix et que la loi va donc passer sans vote.
Voilà comment Hollande et Valls traitent les députés de leur majorité. Aucune tête ne doit dépasser. Le doigt sur la couture du pantalon, sinon c’est le peloton d’exécution pour une mort politique. On comprend leur conception du dialogue social et la façon dont sont gérées les manifestations et les Nuits Debout. On peut évaluer leur vision du progrès des relations salariales. Le gouvernement mène une politique de la tension, un autoritarisme incarné par les postures de Caudillo d’un Manuel Valls , psychorigide et radicalement libéral, au service de l’oligarchie financière.
Pour une fois, les députés de gauche devraient appliquer le « ni droite ni gauche » d’Emmanuel Macron en signant la motion de censure bien qu’elle soit déposée par la Droite pour de mauvaises raisons. Celles et ceux qui le feront montreront un vrai courage politique face aux pressions insupportables d’un pouvoir crépusculaire. En ce qui concerne les autres, Jean Gabin alias Emile Beaufort dans le film « Le Président » d’Henri Verneuil, exprime le reproche que leurs électeurs leur feront…
Paul Capibianchi
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