• Le tourisme en question

    corse_tourisme

    La Corse touristique était le titre d’un mensuel des intérêts insulaires, économique, historique et littéraire. Il paraissait entre les deux guerres. Les plus vieux s’en souviennent peut-être ou bien ont peut-être laissé derrière eux quelques exemplaires jaunis par le temps. En 1990, les éditions La Marge dirigées par Jacques Colonna d’Istria avaient fait paraître les éditoriaux de François Pietri de 1924 à 1934. A l’époque l’éditorialiste s’étonnait que le tourisme ne se développait pas faute de structures suffisantes et de volonté politique. Aux gens qui disaient : « Nous ne croyons pas au développement du tourisme en Corse », il répondait qu’ils avaient tort comme ont eu tort Napoléon de ne pas croire aux bateaux à vapeur et Thiers aux chemins de fer. En 1929, il avait la conviction et l’espoir que la Corse pouvait et devait trouver dans l’exploitation bien comprise du tourisme des éléments importants de développement économique. Un an plus tard, il donnait l’avis suivant : « Ce qu’il faut à la Corse, c’est notamment une clientèle stable, fidèle, cossue, du genre de celle qui fait la fortune des stations de la Côte d’Azur et des plages à la mode, une clientèle qui aime bien ses aises mais qui ne rechigne pas à la dépense. » C’était au temps des colonies…

    En 1925, une dizaine de milliers de touristes étaient venus en Corse et dépensaient en moyenne 1000 francs par personne.  Cela représentait une dizaine de millions de chiffre d’affaires qui faisaient déjà du tourisme la première industrie insulaire. Aujourd’hui les touristes viennent par millions et l’industrie touristique se chiffre par milliards d’euros qui malheureusement profitent peu ou pas à la majorité des Corses. Pour les détails chiffrés cliquer ICI.

    Nous sommes proches des grandes vacances et le thème du tourisme revient dans les discussions des forums ouverts par des journaux en ligne. L’un d’eux a posé la question : « La Corse doit-elle privilégier un tourisme de riches ? » Certains élus locaux ont déjà répondu à cette question sans appel et leurs communes sont devenues des résidences secondaires pour de riches propriétaires qui viennent y passer quelques semaines par an, sans oublier au passage de s’inscrire sur les listes électorales. A ceux-là, inutile de poser la question. Donc nous avons pris connaissance des réponses données par des Internautes corses et les avis sont partagés.

    Est-ce que la Corse peut rivaliser avec St Barth, l’Île Maurice, les Seychelles… ?  

    Les uns nous disent : « Pour un tourisme de "riches", il faudrait un autre standing.... pas souhaitable car il produirait de l’exclusion pour les touristes mais aussi pour les Corses. Un fantasme de plus, après l'immigration choisie, le tourisme choisi.... Commençons par arrêter le pillage et la cannibalisation de nos atouts par les marchands du temple de la profession, qui vendent la beauté des sites de la Corse comme si elle était leur propriété exclusive en la faisant payer au prix (trop) fort. En faisant cela il dénature l’image de notre pays et s’approprient sans vergogne ce qui est le bien et le patrimoine commun à tous les Corses »

    Les autres contredisent : « Une clientèle plus "haut de gamme" est fortement souhaitée par l'ensemble de la profession. Cela étant, le problème n'est pas tant de déterminer "quel type de tourisme" il faut pour la Corse, il faut simplement de la qualité, et ce, pour tous les types de tourisme. La qualité n'est pas synonyme de prix élevés, de luxe et fort pouvoir d'achat, la qualité c'est le meilleur rapport qualité/prix, c'est qu'on s'évertue à faire semblant de ne pas comprendre en Corse. Le problème majeur reste la qualité de l'accueil et des produits/services proposés, et la professionnalisation du personnel. En ce domaine comme dans tout autre, nous devons avoir une exigence de qualité, et en finir avec l'amateurisme et l’improvisation à tous les étages ... tout en se plaignant continuellement. Et pour ceux qui pensent que l'hôtellerie haut de gamme c'est "antisocial" : 1 chambre en 4 ou 5* c'est 1 emploi à l'année, soit 20 fois plus qu'un emplacement de camping. 1 chambre en résidence secondaire : c'est ZERO emploi.»

    Ce sont les même qui parlent de la "flexibilité", à chacun sa capacité d'absorption et son compromis (encore) personnel vers des bonheurs plus ou moins financiers. Certains de ces bonheurs exigent d'ailleurs une flexibilité remarquable de soumission. Je n'aurais pas plus à en dire si la création et la pérennité de ces emplois se passaient de détruire le bien commun... et c'est bien là le problème. Mais ici aussi chacun y verra sa nuance et son compromis acceptable.

    Les écorchés vifs se révoltent : « Les riches ont besoin de services a la personne, en clair de serviteurs c’est-à-dire d’esclaves, de spazzine, de bonniches… les Corses n’aiment pas ce genre d’emplois. Donc ils seront exclus de ce développement. Ils seront marginalisés et paupérisés. Il y aura substitution de population. Les Corses seront dépossédés de leur terre et perdront leur âme sait déjà ce qui est en train de ce produire… Evviva lagricultura corsa !… il faut arrêter de brader notre île à coup de locations en  mobil-homes, en bas de villa, boutiques informes tapissées de cochonneries type draps de plage et porte-clés "Corsica", snacks infects, pizzerie éphémères et autres activités qui tiennent du bricolage saisonnier. »

    De plus sages expliquent : « La capacité d'accueil touristique n'est pas extensible au risque de ressembler aux Baléares. La richesse de la Corse est sa nature encore en  à partie préservée et sauvage grâce à l'interdiction par la loi littorale et la loi montagne, de construction au bord de mer de Marina ou de grand camping. La Corse n'a vocation ni au tourisme de masse ni à devenir la résidence secondaire de riches propriétaires fonciers. Par contre, le tourisme d'hiver, différent, plus âgé, et plus modeste, n'est pas assez exploité et mériterait de l'être d'avantage. »

    Après l'annonce de vouloir accueillir  60.000 passagers de plus à l'aéroport d'Ajaccio et la persévérance de certains élus à vouloir contourner la loi sur le littoral, l'option du tout tourisme massif s'affiche comme une direction économique majeure pour les années à venir sur fond de spéculation foncière. La Corse pourrait devenir une nouvelle destination béton et frime. Ce tout tourisme entraînerait la construction de nouvelles structures, de nouveaux complexes, des marinas …etc. Les efforts de ceux qui ont œuvré pour la protection du patrimoine naturel de la Corse seraient dans un proche avenir réduit à néant. »

    Nous avons relevé le point de vue d’un internaute écologistes : « Le tourisme pour riches ne semble pas la meilleure solution. Outre les différents problèmes d'exclusion, on se trouverait aussi face à un problème qui , déjà présent dan certaines régions, ne ferait que s'amplifier : la privatisation et le bétonnage des côtes. Alors que des associations militent contre la privatisation des plages, et la défiguration du paysage, comment concilier cette lutte et l'accueil privilégié des gens riches? En effet, comme on le sait, leurs exigences sont loin de correspondre au camping, et tous les plus beaux endroits de notre île se trouveraient alors compromis, si de nouvelles grandes villas ou établissements spécialisés apparaissaient..Ces lieux deviendraient isolés, et les corses, ainsi que les touristes au budget moyen, ne pourraient plus y accéder. La Corse n'est pas Saint-Bart. Et privilégier une clientèle fortunée ne serait-il pas priver les Corses d'un moyen de faire connaitre leur culture au plus grand monde? De montrer le vrai visage de notre île ? Ils sont nombreux ceux qui aimeraient découvrir les richesses de la corse, mais, qui ne peuvent pas parce que c'est trop cher...  les transports sont à la base chers, donc ajoutez l'hébergement et cela devient vite difficile... Il serait extrêmement dommageable de cibler une classe particulière. En même temps nous savons que nous ne pouvons pas accueillir toujours plus de touristes, le point est de savoir comment nous pouvons les accueillir de façon à ce que la production de déchets, et la pollution, ne grimpent pas en flèche comme à chaque saison. La pollution qui inclut une circulation de plus en plus difficile sur les routes, due à l'accroissement trop important du nombre de véhicules motorisés. Pour remédier à cela, le secteur du tourisme vert se développe...Il faudrait peut-être aussi penser à aménager de vraies pistes cyclables, et valoriser les transports ferroviaires, ce qui serait à l'étude en ce moment. Bien desservir l'île permettrait aux touristes et aux Corses des conditions de transport plus agréables, et surtout, DE MOINS POLLUER ! »

    Que peut-on retenir ? D’abord un rappel : « La dépense moyenne sur place par jour et par touriste en Corse serait la plus faible de Méditerranée : 47€ chez nous, contre 54€ en Tunisie (destination Low Cost s'il en est...), 80€ dans les Baléares, 98€ au Maroc et 105€ en Sardaigne. Le bungalow au mois d'Aout à 900 euros la semaine, plus le coût du transport bateau/voiture/passager, pour une famille de 4, plus le surcoût systématique (et à sens unique !) de tout ce qui peut se vendre... la semaine en Corse revient à 2000 euros... alors, pour les fauchés, les salaires moyens (1500 euros net), ceux qui ne dorment pas à la belle étoile et ne mangent pas de racines, désolé, il faudra envisager de rester sur le continent. La Grèce va redevenir intéressante, l'Espagne et l'Italie aussi. Il ne faudra pas s’étonner de voire chuter le tourisme en Corse, si les "opérateurs" persistent à vouloir un tel niveau de prix qui ne rapporte à l’économie corse que 47€ par touriste et par jour. Une grosse partie des recettes touristiques est captée par les grandes chaines de distribution et ne concernent pas les produits corses. Le transport est capté par des sociétés étrangères à la Corse. Une compagnie maritime menace par une concurrence déloyale l’existence de la SNCM qui emploie des marins corses et fait travailler des sous-traitants corses… Si la SNCM disparaissait, cette compagnie se trouverait en position de monopole, pourrait imposer ses prix à la hausse et soumettre les marins corses à la déréglementation du travail.

    La Corse doit-elle privilégier un tourisme de riches ?Quelle question cynique! Il y a les gens qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas ! Chez ceux qui ne peuvent pas : il y a le sdf et la famille nombreuse au RSA et chez ceux qui peuvent, on trouve la famille qui se prive, et au dessus pas de limite (sauf aimer la corse). Le tourisme doit donner des emplois qualifiés aux Corses et développer les activités agro-pastorales et artisanales au lieu de les tuer en vendant des produits industriels made in n’importe où et dont seules les étiquettes sont corses.

    Plus de qualité, plus d'identitaire à tous les niveaux de prix, serait-ce la solution ? Pas la seule ! La solution est aussi de ne pas laisser l’économie corse dépendante du tourisme mais bien de développer d’autres secteurs d’activité. La Corse est une destination touristique. Le tourisme y est une réalité économique. Cependant il ne faut pas que les Corses en soient dans leur majorité les victimes, les laissés pour compte et que seuls quelques uns s’enrichissent. Il est injuste que les Corses ne puissent plus acquérir des biens immobiliers à cause de la spéculation foncière et trouvent peu de locations à l’année parce qu’il est plus rentable de louer à la semaine. Les logements sociaux manquent cruellement alors que les locations saisonnières se multiplient. L’agriculture et l’élevage ont besoin d’être soutenus et encouragés à long terme par une politique foncière moins agressive et l’obtention d’AOC mettant fin à la concurrence mensongère et déloyale des étiquetages. Des industries non polluantes pourraient être développées. Il ne faudrait pas que le tourisme, au lieu d’être une activité économique et une ouverture aux autres, devienne le cancer économique, culturel  et social de l’île.

    Les insulaires corses qui vivent l’hiver dans des endroits touristiques (Porticcio par ex), bâtis de maisons vides et de résidences secondaires, voient les prix des biens de consommation (alimentaire notamment) augmenter certaine fois de plus de 25% en période estivale. Ils vivent sur l’île a l'année, ne sont pas en vacances quand vient l'été. Ils subissent des taxes et des impôts locaux qui augmentent d'année en année, au risque de ne plus pouvoir vivre dans leur maison car leurs revenus stagnent ou régressent. N’oublions pas que la Corse est notablement touchée par le chômage. Des lotissements champignons poussent pour une "clientèle" qui viendra y passer deux mois, au détriment du maquis que l'on rase pour construire. Le Padduc est toujours dans les tiroirs de quelques élus… le jackpot pour eux et une épée de Damoclès pour les autres Corses. Jusque dans la Restonica,  le parking qui est libre toute l'année, devient magiquement payant en été, pénalisant les vrais insulaires… Alors des Corses ne veulent plus entendre parler de tourisme et certains d’entre eux y sont même devenus hostiles.

    Du tourisme de qualité oui, de "luxe" pourquoi pas…mais pas au détriment des touristes plus modestes, ni des insulaires qui en font les frais !!!! Nous terminerons sur le commentaire d’un touriste comme on les aime : « Un coeur de plus pour vous! Nous, nous venons,avec chaque fois encore plus de"gioia" pour vous connaître et apprendre de vous... Avec notre fourgon aménagé nous passons de camping en camping et nous recherchons les magnifiques petits restaurants que nous font découvrir les Corses que nous rencontrons grâce à nos vélos électriques (bonne invention pour notre forme déclinante) ;-) ! A Corsica , vos paysages,vos chants,votre cuisine,vos produits,votre "lingua" et toute votre culture, merci d'exister,surtout ne changez pas, a prestu ! »

    Signé : Pidone

    Google Bookmarks

    Tags Tags : , , , , , , , ,
  • Commentaires

    1
    Pietri
    Dimanche 20 Mai 2012 à 17:36
    Bonjour,
    Je vous présente une revue ancienne et en même temps un site que la met en lumière : "La Corse Touristique" de François PIETRI et le site dédié à la revue de mon grand-père : www.la-corse-touristique.fr
    Dans votre article, vous citez cette revue (1924 à 1934).
    Beaucoup de questions étaient posées par mon grand-père.
    Aujourd'hui: Quel tourisme (pour riche ou populaire) ?
    Pour accueillir plus de touristes éparpillés de manière plus homogène (villages de montagne et sites balnéaires), il faut améliorer peut être l'infrastructure (accès routier)...
    Du made in Corsica bien sûr... pour les produits
    Beaucoup de questions éternellement posées, certaines toujours sans réponses efficaces.
    Merci pour votre article sur ce site.
    Cordialement
    JL PIETRI
      • Manca alternativa Profil de Manca alternativa
        Lundi 21 Mai 2012 à 14:46
        Je possède ce livre acheté chez un bouquiniste. Je l'avais pris d'abord pour les illustrations et je l'ai lu avec intérêt tout en remettant les articles dans le contexte de l'époque. Au début de cet opus, il y a un portrait de votre grand-père fait au fusain par Antonia Bosc, des fusains du village d'Evisa (Delatousche) et de Cervione (Cottin). Au milieu on trouve des reproductions d'oeuvres dont "Vue d'Ajaccio" et "Automne en Corse" peintes par le grand peintre Corbellini ( qui n'a pas oublié l'äne corse dans son oeuvre) mais aussi une toile de Canavaggio, une de Bassoul et une autre de Bouchet qui a fait de nombreuses illustrations dans ce livre. Votre grand-père écrit sur la quatrième page de couverture: " La conclusion de tout cela, c'est qu'il faut une politique du tourisme.? Or, qu'on ne s'y trompe pas, ce ne sont pas les politiques qui imposent leur programme, ce sont les électeurs qui leur impose le leur. C'est donc aux électeurs qu'il importe de vfaire comprendre que c'est encore mieux servir l'intérêt particulier que de servir l'intérêt général." Comment ne pas être d'accord avec cet appel avant les élections législatives? Le tourisme ne devrait pas être une manne pour quelques uns et augmenter les chiffres d'affaires d'industries hors de l'ïle mais plutôt contribeur au développement de la Corse et au bien-être de nos compatriotes. La Corse ne doit pas devenir un super-marché pour des grandes entreprises situées sur le Continent et dans le reste du monde. Le risque est là! Lorsque j'ai écrit "devenir", je n'ai pu m'empêcher de penser "rester".
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :