• Le voile des mots complices de la violence

    « Un discours violent est une parole ou un écrit au service de la violence politique, morale, pédagogique, religieuse. Le discours est alors serviteur d'une violence qui n'est pas directement de son fait, mais dont le principe est à chercher dans l'irrespect des personnes, dans le mépris de leur liberté, de leur égalité, de leur bienveillance réciproque peut-être. Il se pourrait que tout discours qui accompagne une conduite ou une politique violentes fût lui-même porté à être violent, soit par cynisme -la force s'énonçant comme force dans son exaction même-, soit par hypocrisie -la force se masquant pour exercer ses exactions et ses débordements sous couvert d'un respect scrupuleux des valeurs. Les mots ne seraient pas violents par eux-mêmes : ils le seraient par complicité avec une violence qu'ils contribueraient à promouvoir, par ruse, sous les voiles de son contraire ». (Jean-Pierre Clero)

    Nous n’allons pas nous lancer dans un article philosophique sur la théorie berkeleyenne du voile des mots et sur le langage. Il s’agit d’évoquer la violence verbale qui est la plus fréquente de toutes les violences et, pourtant, celle dont nous avons le moins peur. Elle ne blesse pas physiquement et, à force de confrontations, on pense pouvoir s’en défendre et se protéger contre ses effets affectifs et psychologiques. C’est sans doute ce que pensaient les dessinateurs de Charlie Hebdo lorsqu’ils faisaient face à cette violence verbale accompagnée de menaces jusqu’au jour où le siège de l’hebdomadaire a sauté. Là encore il n’y a pas eu de victimes mais un pas avait été franchi avant l’irrémédiable, l’intolérable. La violence verbale a tué. La violence verbale a servi la barbarie. Les mots ont été complices avec la violence qu’ils ont contribué à promouvoir. Auparavant, il y avait eu l’attentat contre Libération (un mort). Aujourd’hui des menaces ont été proférées contre « Le Canard enchaîné ».

    Que pourrait-on espérer contre les attaques à mots armés ? Que les esprits se libèrent, que les consciences se décadenassent, que les majorités silencieuses sortent de leur autisme, que, demain, les Musulmans puissent dire « Allah Akbar ! » sans que ce soit perçu comme un cri de guerre contre l’humanité. Que des dessins, des caricatures ne soient pas des motifs d’assassinats après des anathèmes et autres fatwas liberticides et haineuses ?

    Si nous avons des statistiques sur les violences physiques, il n’y en a pas  qui traitent toute l'ampleur du phénomène de la violence verbale parce qu'il n'y a pas encore de recherche globale sur ce sujet, si ce n’est sur certaines formes de violence qui englobent aussi la violence verbale, par exemple la violence psychologique ou le harcèlement moral sur le lieu de travail. Si deux personnes essaient de se mettre d'accord sur une définition de la violence verbale, elles ne seront pas d’accord sur les limites transgressées ou pas en fonction de leur milieux culturel, éducatif, familial et religieux. L'histoire personnelle de chacun influe sur sa perception de la violence.

    Pour prendre la mesure du problème, il faut écouter tous les professionnels qui ont en charge l’éducation, la santé et la sécurité de chacun. Il y a longtemps que des enseignants tirent le signal d’alarme sur la violence verbale dans les établissements scolaires, sur la proximité entre des élèves motivés et des délinquants en conflit permanent avec l’école. Il y a longtemps que des enseignants dénoncent le recul de la laïcité sous la poussée des intégristes. Il y a longtemps que les policiers et des éducateurs constatent que, dans nos cités populaires, les jeunes ont le choix entre le chômage, la délinquance et le fondamentalisme religieux, premier pas vers l’intégrisme et le jihadisme. Comment ne pas pendre en compte le lien entre délinquance et intégrisme lorsque l’endoctrinement se pratique dans nos prisons ?

    L’actualité tragique est le fait du jihadisme. « Je suis Charlie » pour défendre la laïcité contre l’islamisme et toutes ses dérives, sans tomber dans l’islamophobie et le racisme. « L’islamisme est la maladie de l’Islam, mais les germes sont dans le texte ». C’est L'écrivain et universitaire tunisien Abdelwahab Meddeb qui le disait dans un article de Libération avant sa mort en 2006. Cet intellectuel n’était pas tendre avec les religions au regard de leurs histoires, y compris la sienne. Il dénonçait l’ambivalence du Coran. Bien sûr le verset 256 de la deuxième sourate dit «  Point de contrainte en religion », mais dans les versets 5 et surtout 29 de la sourate 9, il est commandé de combattre tous ceux qui ne croient pas en la « vraie religion ». Abdelwahab Meddeb relevait que l’impératif « qâtalû » qui l’on traduit par « combattez ! » utilise une forme verbale dont la racine « qatala » veut dire « tuer ». D’autres mots ambivalents frappent les esprits : jihad, fatwa, charia. Le verset 5 est explicitement contre les païens et les idolâtres, aménageant, en revanche, une reconnaissance aux scripturaires, aux gens de l’écriture. Le verset 29 englobe dans le combat les scripturaires, désignant nommément les Juifs et les Chrétiens. « C’est le verset fétiche  de ceux qui ont établi la théorie de la guerre contre les judéo-croisés.

    Comment peut-on parler d’un islam de paix sans dénoncer, combattre le meurtre et la flagellation pour blasphème ?  Au lendemain de la tragédie que nous venons de vivre, la violence verbale s’est amplifiée jusque dans nos établissements scolaires. A Châteauroux, un lycéen a été tabassé parce qu’il avait défendu la laïcité et la tolérance sur facebook, par d’autres lycéens se disant outragés dans leur religion. A Marseille un autre lycéen d’origine arménienne a été tué parce qu’il avait dit à une lycéenne dans l’établissement « Bouge ton cul ! ». La copine de la lycéenne soit disant outragée a appelé des cousins qui ont attendu le jeune lycéen, l’auraient frappé avec des matraques et tué à l’arme blanche, selon des témoins. On nous a expliqué que ce meurtre n’a aucun lien avec le djihadisme, le terrorisme et Charlie Hebdo.

    Un hommage a été rendu au jeune Michaël devant l’église arménienne du Prado à Marseille hier soir  à 19h30. Plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles des enseignants, sont venu rendre hommage à Mickael. L’église n’a pas pu contenir tout le monde. Une cérémonie a eu lieu dans la dignité en présence de la famille. D’aucuns vont-ils dénoncer un rassemblement communautaire devant un édifice religieux au lieu de s’associer à la douleur de la famille et des proches de Mickael? Quelle hypocrisie ! Il ne faut pas faire d’amalgame. D’accord mais pour tous ! L’église arménienne du Prado est le lieu habituel de rassemblement des Arméniens pour commémorer le génocide de 1915. S’y rassemblent athées et croyants de toutes confessions qui y viennent chaque 24 avril. Les Arméniens ont réussi leur intégration, tout en restant attachés à leur culture comme tout un chacun. Ils sont chrétiens et respectent la laïcité. Les croyants ne font aucun prosélytisme et leurs représentants ne lancent pas de fatwa, ne veulent pas imposer la charia et ne font pas l’apologie d’un quelconque Jihad.. Au lycée Camille Julian, une minute de silence a été observé et la CGT éducation a diffusé un communiqué… Une marche blanche est organisée samedi 17 janvier à 14h30 aux Mobiles réformés, Canebière.

    Il est nécessaire de dénoncer les récupérations, les actes islamophobes et antisémites, plus généralement les actes racistes et xénophobes mais c’est une erreur de tronquer les informations sur des actes violents en éludant qu’ils puisent leurs racines dans les cités, la délinquance ou l’intégrisme. Il ne s’agit pas d’hurler avec les loups du FN mais de ne pas leur laisser à d’autres le décryptage de ces actes barbares en voilant les mots.  Si nous devons dénoncer et nous attaquer à leurs causes sociales, historiques et internationales, il ne faut aucune indulgence envers les dérives de minorités qui portent préjudice à tous, toutes confessions confondues.  Il faut que les « majorités » se mobilisent et s’unissent contre ces minorités. On ne peut pas faire du communautarisme un jour et de la citoyenneté un autre. On ne peut pas se dire tolérant et approuver des barbaries, des meurtres pour blasphèmes. On ne peut plus accepter la violence parce qu’elle est le résultat de politiques antisociales. Il faut lutter sur tous les fronts.

    Les polices judiciaires et de sécurité publique travaillent. Au total, plus d'une cinquantaine de procédures judiciaires ont été ouvertes pour apologie du terrorisme. Quatre hommes qui avaient crié plusieurs fois «mort aux flics, mort à Charlie Hebdo» devant le supermarché casher porte de Vincennes, lieu prise d'otages qui avait fait cinq morts vendredi 9 janvier, ont été arrêtés mardi après-midi par les forces de l'ordre. L’armée française protège les synagogues et les mosquées, c’est nécessaire paraît-il, ça rassure mais ne résout rien. La France doit-elle devenir la patrie des armes et des lois? Qui va protéger la laïcité dans les écoles de la république ? Qui va y enrayer la délinquance et la violence de quelques uns et quelques unes ? La répression et la politique sécuritaire ne peuvent être la seule réponse à la violence. Il faut en extirper les racines par des actions pédagogiques mais aussi par une politique sociale à la hauteur de la situation dans laquelle le libéralisme économique nous a mis. Il ne faut pas laisser le champ libre à l’amalgame mais il faudrait regarder les réalités en face. Des minorités de voyous ne peuvent impunément imposer leur loi dans leurs communautés et dans les cités, en se drapant de vertus religieuses.

    Donnons la parole aux enseignants, aux éducateurs et autres professionnels de terrain pour que les générations vivantes ne portent pas sur leurs cerveaux le poids des générations mortes.  Ecoutons leurs difficultés.  Associons-les à une nouvelle pédagogie pour apprendre à « vivre ensemble ». Aidons-les ! Revenons à une forme radicale de laïcité pour éviter les guerres de religion. Défendons pied à pied les principes démocratiques partout où ils sont menacés. Rétablissons dans les actes et les faits la liberté d’expression en abordant tous les problèmes sociaux. La violence en est un, y compris lorsqu’elle est verbale. Ceux qui font l’apologie du jihadisme et de l’intégrisme religieux, ceux qui placent leur religion au dessus du « vivre ensemble », des libertés individuelle et des lois républicaines doivent répondre de leurs violences verbales qui poussent à la barbarie. Des condamnations sont tombées et elles sont justifiées. La tolérance n’est pas la justification de l’intolérable et le droit à l’intolérance.   

    Les jihadistes et intégristes de tous poils ne sont pas dans une logique révolutionnaire mais dans celle de l’oppression, de la soumission à leur barbarie. Ils ne combattent pas la violence économique et s’attaquent à la paix civile pour établir un ordre religieux qui serait le moyen d’asservir des peuples comme cela se passe au Moyen-Orient où ils veulent remplacer des dictatures familiales par des dictatures religieuses encore plus sanguinaires, plus obscurantistes. Ils ont appris du colonialisme et du néo-colonialisme économique le pouvoir des armes. Ils ont appris des techniques de communication le pouvoir des mots complices de la violence. Ils manipulent des pions. Ils leur montrent un « miroir aux alouettes » religieux qui les hypnotise. Ils conduisent des esprits faibles à la folie meurtrière.  Ils font des attentats-suicides les portes d’un paradis qui n’est qu’un enfer pavé de bonnes intentions, bonnes pour l’asile psychiatrique. 

    La Une de « Charlie hebdo » d’aujourd’hui est une réponse pleine de sens à la barbarie dont l’hebdomadaire a été le théâtre. C’est une réponse humoristique et sensible. Le dessin peut lever le voile des mots en faisant appel à l’intelligence. L’intelligence est du côté de la tolérance et des valeurs humanistes. Elle peut être aussi du côté des croyants pour l’humour de dieu. L’arme du moraliste est souvent la moquerie. C’est peut-être par là qu’il faudrait entamer une réflexion sur les dessins de Charlie Hebdo et les dérives barbares. Ne faudrait-il pas ajouter « Laïcité » au fronton de la république pour compléter sa devise ? Liberté, égalité, fraternité, Laïcité. L’idée s’impose.

    La liberté d’expression est faite pour que l’on discute de tout. La morale n’est pas une boutique de friperies où l’on étale les pensées d’autrui et où on les retourne. La morale n’est pas religieuse. Elle est liée à la conception que l’on a de l’homme, à des moyens d’améliorer sa nature pour vivre ensemble. Rendons donc au peuple ce qui est au peuple et à Dieu ce qui est à Dieu. Rendons à la société ce qui est à la société, à l’homme ce qui est à l’homme. Rendons la morale commune à la laïcité qui garantit nos libertés d’expression et de pensée, toutes nos libertés.  

    Le philosophe Kant, auteur de « La Religion dans les limites de la simple raison » publié en 1793, écrivait : « On ne peut mûrir pour la liberté si l’on n’a pas été préalablement mis en liberté ». On peut aussi mourir pour la liberté lorsqu’elle est menacée par ceux qui décrivent la liberté comme le plus dangereux des états afin d’asseoir leur pouvoir en maintenant les peuples dans des camisoles idéologiques, religieuses et économiques. Les individus ainsi aliénés doivent retrouver l’usage propre de leur raison  et donc leur liberté, au lieu de rester confinés dans leur servitude par la mauvaise foi de tuteurs cyniques et sinistres.

    Bien sûr, les propos ci-dessus n’engagent que leur auteur qui a pour intention de provoquer des débats. Il faut qu’on en parle… ça se discute… sans propos racistes, xénophobes, antisémites, islamophobes ou même intégristes religieux, fondamentalistes, sectaires, intolérants, intolérables… ça se discute entre personnes de bonne volonté, croyants ou non,  qui placent l’humain d’abord.  

    Fucone

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