• Les ministres intellectuels et les chômeurs illettrés

    Macron_elkbach

    Voici les déclarations d’Emmanuel Macron qui ont fait polémique et blessé les salariées de l’entreprise GAD qui ont manifesté leur colère sur le petit écran : « Dans les sociétés qui me sont données, sur les dossiers que j'ai, il y a la société Gad. Vous savez ? Cet abattoir. Il y a dans cette société une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées.Pour beaucoup on leur explique : « vous n'avez plus d'avenir à Gad ou aux alentours. Allez travailler à 50 ou 60 kilomètresCes gens-là n'ont pas le permis de conduire. On va leur dire quoi ? Il faut payer 1 500 euros et il faut attendre un an ? Voilà, ça ce sont des réformes du quotidien et ça ce sont des réformes qui créent de la mobilité et de l'activité ».

    C’était sur les ondes d’Europe 1, lors d’une interview menée par Jean-Pierre Elkabbach, qui ne doit pas être mécontent du scoop réussi. Il s’agit sans aucun doute d’une maladresse derrière une bonne intention alléguée et le ministre du commerce et de l’industrie s’en est excusé « platement ». Parler des salariées de l’entreprise Gad (désigné comme un abattoir comme si cela avait de l’importance) comme étant des femmes pour la plus grande partie illettrées, ce n’est cependant pas anodin.  Est-ce à ne pas relever après les révélations, par Valérie Trierweiler, de l’expression « sans-dent » utilisée par François Hollande ?  Les salariées illettrées d’un abattoir ! Que traduit ce type de maladresses ? Pourquoi stigmatiser des femmes en ajoutant pour la plupart illettrées et sans permis de conduire ? Pour les aider, a expliqué le ministre. 

    Le fossé qu’il y a entre le peuple et tous ces promus de la politique.  Nous en revenons aux mots forts de Jean Jaurés : « Les hommes pratiques […] sont ceux qui emploient quelques mots humanitaires pour amorcer les suffrages du peuple et qui, sous ces mots, ne mettent aucun sentiment ardent, aucune idée précise qui puisse inquiéter les privilégiés ». Parfois ils font des lapsus ou utilisent des mots qui blessent, non pas pour blesser mais parce que c’est révélateur de leur éducation et de leur cursus.

    Les hommes politiques sont coupés de la réalité sociale qu’ils soient élus ou qu’ils viennent de la société civile comme Emmanuel Macron qui n’a aucun mandat électif. Ils sortent le plus souvent du même moule : Sciences Po et l’Ena. Leur entrée en politique se fait par l’intermédiaire d’un sponsor et, une fois installés, ils sont dans ce qu’ils appellent le « tunnel », c’est-à-dire une carrière politique dont le développement est assuré. Ils font carrière à droite ou à gauche, passent de gauche à droite et restent des libéraux. Ils ne voient les problèmes sociaux qu’à travers des ouvrages théoriques, des statistiques, des pourcentages, des courbes… Leurs rapports avec l’électorat passent par les techniques de communication et le story-telling.  Les discours font partie de leurs exercices professionnels et ils passent leurs oraux devant une presse déjà conquise.

    Il ne faut pas s’étonner de la  fracture croissante entre le peuple et ses élites dirigeantes, politiques, administratives, judiciaires, médiatiques, universitaires, dans la France contemporaine. Il suffit de faire la liste de tous les diplômés de ce qui est devenue la classe politique en commençant par les deux derniers chefs de l’Etat. On y trouve bon nombre d’énarques et d’avocats d’affaires issus de la grande bourgeoisie. Ils parlent parfois comme ils en ont l’habitude en privé et se rendent compte à postériori de la portée que peut avoir une expression ou une stigmatisation même involontaire. Ils ne sont animés par aucun sentiment ardent mais uniquement par un conservatisme chevillé à leur esprit et une idée méprisante du peuple au bout de leur langue. Lorsqu’ils tiennent des propos humanistes, c’est qu’ils sont en campagne ou en difficulté.

    Chassé le naturel, il revient au galop. Pour ce faux pas, Emmanuel Macron méritait bien un coup de pied de l’âne qui, comme un fait exprès, est l’anagramme de l’Ena. Le ministre y a fait partie de la promotion Léopold Sédar Senghor qui a écrit : « Il suffit de nommer la chose pour qu'apparaisse le sens sous le signe ». En nommant des salariées de l’entreprise Gad comme étant des « illettrées », il y a mis forcément du sens. On trouve des synonymes : analphabètes, ignares. On trouve le contraire : l’intellectuel. Lorsqu’un intellectuel traite quelqu’un d’illettré, on y trouve forcément un certain mépris et, s’il s’apitoie sur son sort, de la condescendance. Ce sont les mêmes rapports qu’entre le riche et le pauvre.

    Dans une interview, Emmanuel Macron avait déclaré : « Il n’est pas interdit d’être de gauche et de bon sens ». Sans doute, a-t-il voulu maladroitement exprimé ce « bon sens » qui  fait partie de l’arsenal classique de la droite. Pour Roland Barthes et les intellectuels de gauche  le bon sens, c’est le « chien de garde des équations petites-bourgeoises ».

    combats_mosco

    Pour me changer les idées, j’ai feuilleté le Canard enchaîné qui dévoile que, lorsque Pierre Moscovici était ministre de l’Économie, il se serait servi de l'argent de l'Etat pour faire sa publicité d'homme politique. Le ministère des Finances aurait payé de novembre 2012 à mars 2013, 19.136 euros par mois à Pierre Moscovici pour une mission de conseil en communication : soit un total de 95.680 euros. Le quotidien explique : "Outres des conseils, une aide à l'organisation de réunions et des topos écrits, le budget communication du ministère a également financé des notes préparatoires à la rédaction de son livre". Il s’agit de l’opus « Combats ».  L'ancien ministre se justifierait en avançant que son ouvrage était celui d'un ministre de l’Économie et non un livre personnel. C’est pourtant bien de lui qu’il parle à la première personne. Nous avons noté dans un article d’octobre 2013 paru dans l’Express  : si Mosco écrit un livre, décrypte un proche de François Hollande, c'est pour se redonner une perspective et se repositionner. Il lorgne sur un poste de commissaire européen ou sur Matignon ou sur le Quai d'Orsay". Symptomatique: l''intéressé sort du "Nous" gouvernemental et passe au "Je", omniprésent au fil de son essai. Depuis lors il a obtenu son poste de commissaire européen. On se demande à qui sont reversés les droits d’auteur. Ce serait honnête que le ministre de l’Economie Emmanuel Macron les encaisse dans son budget ministériel pour rembourser les 95.680 € qui pourraient être investis dans la  formation professionnelle et la lutte contre l’illettrisme dans les entreprises.  Ecrire un livre pour les illettrés ! Une gageure à laquelle Pierre Moscovici n’a sans doute pas songé.

    Battone.

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