• Rien ne nous interdit de voter pour la "Corse insoumise"

    Dans son étude  "Ce qu'ils disent vraiment", la chercheuse Cécile Alduy[1] a analysé les 3 millions de mots prononcés par nos politiques en deux ans. Elle a été interviewée par Emilie Lanez dans le journal Le Point. Ce qu’elle dit d'Emmanuel Macron est éclairant sur sa « démarche de marketing »devenue le mouvement « En Marche », E.M comme Emmanuel Macron : une marque, un logo et deux initiales.

    Voici un extrait d’une de ses réponses…

    Question: Dommage que votre étude n'inclue pas le champ lexical d'Emmanuel Macron, ce candidat « ni de droite ni de gauche ». Qu'observez-vous à le lire et à l'écouter ?

    Réponse : Emmanuel Macron s'est invité dans la campagne trop tardivement pour que je puisse l'inclure dans mon livre, d'autant plus qu'il est le candidat du faire, et non du dire : il avait prononcé très peu de discours en son nom propre au moment où il s'est déclaré. Chez lui, tout est dans la démarche, la manière de faire, tandis que, sur le contenu, il reprend à droite ou à gauche des idées assez générales (flexibilité du travail, laïcité de la loi de 1905, Européen convaincu). Il y un côté « start-up » dans son mode opératoire : on analyse l'offre sur le marché (ici politique), on monte une petite boîte sur un concept disruptif (la candidature apolitique), on fait des « focus-group », on teste le produit en mode « bêta », on intègre les retours des consommateurs dans la version finale, on peaufine, enfin on livre un produit résolument neuf, qui repose sur un usage et un savant marketing plutôt que sur un contenu précis..

    Macron a échappé à cette enquête sémantique, stylistique et rhétorique par manque de temps et de discours de candidat. Nous relevons toutefois que Macron utilise un savoir-faire en matière de marketing et fait beaucoup de bruit sans que son programme libéral ait un contenu neuf. Il ménage pour aménager l’ordre ultralibéral. Il est professionnel de la suture. Il amende l’idéologie de la Droite pour tromper les électeurs de gauche. Comme Fillon et des candidats à la primaire du PS, il s’inscrit dans l’urgence pour continuer réformer l’économie libérale contre le réformisme social. Ils opposent tous le conservatisme libéral à tout autre choix qualifié par eux d’utopique pour en discréditer la faisabilité. Ils seraient les candidats du « faire » mais ils proposent de défaire les acquis sociaux. Ils revendiquent une efficacité qui nous amène à des crises économiques et financières dont l prix est payé par les peuples, pendant que les riches continuent à s’enrichir.

    Cela nous ramène à Henri Maler[2] auteur d’une intervention, rédigée pendant la froidure sociale des premiers jours de novembre 1995, et parue dans un numéro spécial des Temps Modernes de mars-avril-mai 1996, dédié à l’engagement, à l’occasion des 50 ans de cette revue. Le texte est intitulé « Eloge de la rébellion ». Il est encore en ligne sur le site de l’auteur.

    Dans ce long texte toujours d’actualité, il écrit notamment :  À entendre ces pénitents, agir, ce serait subordonner la protestation à la proposition : ménager pour aménager. L’action politique, mais confisquée par ses professionnels et réduite à l’impuissance, devrait effacer la sédition : l’irruption, face à la machinerie de la domination, d’une action qui s’expose, non pour témoigner d’un malaise, mais pour défaire une fatalité ; non pour reconduire les actes ritualisés par l’ordre social, mais pour en subvertir les plus subtils agencements. Subvertir, car transiger d’emblée, c’est renoncer d’avance : « Les transformations réelles et profondes naissent des critiques radicales, des refus qui s’affirment et des voix qui ne cassent pas. ». Des critiques et des refus, des voix et des actes : des altercations qui ne se confondent pas avec leur simulacre télévisé ; des séditions que n’intimident pas les raisonneurs compétents…  Les prophètes de la rupture ont été licenciés par les professionnels de la suture. Ceux-ci forment une cohorte impressionnante : moralistes de la connivence qui badigeonnent les vertus et juristes de la décence qui se tiennent pour des moralistes, historiens de la normalité qui se portent garant de la nôtre et philosophes de la politique qui affectent de croire que le statu quo deviendrait respirable si l’on pouvait en amender les justifications. À les croire, l’intransigeance devrait s’effacer devant la compétence et la radicalité des refus irréductibles abdiquer au bénéfice de l’efficacité des progrès insensibles... Les urgences du présent invitent, d’abord, à s’en remettre à des réformes. Faut-il le craindre ? Les lamentations sur la nocivité de la réforme (car elle serait récupérée) ou sur l’impossibilité de la réforme (car nous serions piégés) ne sauraient tenir lieu de critique des réformes, et encore moins du réformisme. Mais la réforme peut avoir pour adversaire le réformisme lui-même. Car ce n’est pas seulement son intention réformatrice qui le définit, mais l’unité d’une visée et d’une méthode : le traitement des symptômes par des réformes octroyées, au lieu de l’éradication des causes par des victoires obtenues… 

    Ces extraits s’appliquent bien aux candidats du marketing politique. Emmanuel Macron est énarque et a été un cadre de la banque Rothschild. Il est jeune et n’a eu aucun mandat électif. Sur ces critères élitistes, il faudrait s’en remettre à lui pour « moderniser » la France. A la radicalité des reformes sociales obtenues par le combat politique et syndical, il ne propose rien d’autre que poursuivre une réforme indexée sur le progrès économique qui conduit à la régression sociale. Comme la Droite et les socio-libéraux, il ne s’attaque pas aux causes mais manigance des aménagements libéraux sans vision à moyen et  long terme. Rien de neuf ! C’est ce qui se fait depuis des décennies sans régler les problèmes économiques autres qu’augmenter les profits de quelques uns au détriment de l’intérêt général. Il propose une politique de low cost et d’uberisation qui débouche sur la précarité pour les salariés dans des entreprises qui sont vouées à l’échec. Il est dans l’immédiateté ultralibérale sans le recul nécessaire à toute politique à long terme.

    Henri Maler s’interroge : « Les urgences du présent invitent, selon la même logique, à différer les utopies d’avenir. Faut-il s’en plaindre ? Les lamentations sur l’impuissance de l’utopie (car elle détournerait des combats présents) ou sur la perversité de l’utopie (car ses rêves se transformeraient en cauchemars) ne sauraient avoir le dernier mot. L’utopie est le revers indispensable de l’urgence. Sous la chape des besoins urgents grondent des aspirations utopiques. Utopie ? Et pourquoi pas ? L’utopie ne figure pas, en surface, sur la carte des sociétés existantes. Mais elle est logée, en profondeur, au cœur des virtualités du présent. Ses adresses sont multiples. N’en retenons qu’une seule : dans les sociétés développées, le chômage et la précarité, la misère et l’insécurité de l’existence tracent d’un trait épais le cercle de l’urgence et fixent les cibles des combats qu’elle commande : la réduction du temps de travail et l’obtention d’un revenu social garanti. Ces objectifs sont à la fois urgents et concrètement utopiques, puisqu’ils tracent, mais en pointillés, les contours d’une civilisation où la satisfaction des besoins ne serait plus entièrement conditionnée par le travail nécessaire et où le déploiement de l’activité humaine ne serait plus entièrement dévoré par le travail contraint

    Emmanuel Macron est un énarque, un fonctionnaire du diagnostic et un expert de l’expertise, un spécialistes de la complexité financière, un laboureur de la spécialité, un aède de la grandeur derrière l’image d’un chantre de la modestie, un faiseur de faisabilité et un indicible diseur de dicibilité, un entrepreneur d’sine à gaz.  Il est un ripolineur de la façade ultralibérale, un promoteur du vide, un moraliste du kitsch, un esthète du consensus... Il est un mémorialiste sans mémoire et un devin sans idéal, un fossoyeur de l’avenir. Il utilise une rhétorique pour convaincre qu’il poursuit des objectifs à l’inverse de ce qu’il propose. Il argumente « per fas et néfas », par tous les moyens possibles, avec une malhonnêteté intellectuelle maîtrisée. Il sait qu’il ne dit pas la vérité mais, en sophiste, il veut imposer son faux discours. Il y est aidé par une partie de la presse qui participe à une propagande inouïe basée sur sa jeunesse et ses diplômes.  Avec Fillon et Le Pen, il est le troisième candidat étiqueté « antisystème » du système.

    Face à l’offre de ce rebouteux diplômé, représentant titré de la doxa ultralibérale, rien ne nous interdit de préférer à ses contrastes imaginaires et ses noces consensuelles,  les ruptures franches et les complots séditieux, fomentés par les détecteurs de catastrophes et les prospecteurs d’utopie.

    Face à la poursuite d’une politique libérale botoxée, rien ne nous interdit de préférer le progrès social hérité des luttes syndicales et politiques.

    Face à la soumission proposée par les marionnettes du groupe Bilderberg et des grandes banques, rien ne nous interdit de préférer l’insoumission.   

    Face à des candidats à la Présidentielle tous soumis à  la doxa libérale, rien ne nous interdit de préférer celui qui veut nous sortir de la cinquième république bananière et autocratique pour plus de démocratie afin de réduire les inégalités et mener une politique sociale indépendante des lobbies économiques et financiers.

    Face à François Fillon, Emmanuel Macron, le candidat socialiste et Marine Le Pen, rien ne nous interdit de voter pour Jean-Luc Mélenchon. Bien au contraire, c’est recommandé pour une véritable alternative qui mettrait fin à une alternance imposée.

    Face à des élus locaux empêtrés dans la pulitichella, rien nous interdit ensuite de voter pour les candidats de la "Corse insoumise" aux prochaines législatives.

    Bien sûr l’élection est une bataille de mots mais ce n’est pas celui qui imposera son propre sens de la "laïcité" ou de la "République" qui devrait remporter une victoire idéologique qui effacerait les enjeux sociaux. Les politiques sécuritaires et  xénophobes ne sont faites que pour détourner les électeurs de leur quotidien, du pouvoir d’achat, de la précarité, du chômage, du démantèlement des services publiques, de la casse de notre système de santé, du détricotage des acquis sociaux, des atteintes aux libertés individuelles… de notre avenir et de celui de nos enfants.

    U barbutu 

     

     

     


    [1] Professeure de littérature française à l’université de Stanford, elle a aussi publié avec Stéphane Wahnich « Marine Le Pen prise aux mots. Décryptage du discours frontiste » (Seuil). Les auteurs y passent au crible de plusieurs logiciels les discours des dirigeants du Front national depuis sa création. Elle a donc récidivé avec d’autres sujets politiques d’études.

    [2] Professeur (maître de conférences) en science politique à l'Université Paris VIII, il fut le fondateur et le principal animateur de l'association Acrimed depuis début 1996 jusqu’en janvier 2015. 

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