• Solidarité corse avec les Réfugiés de Grande Synthe

    Après 2 jours de route et près de 1400 km parcourus, le Sud rejoignait le Nord, c’est le dimanche 3 avril que les deux véhicules de Per a Pace[1], chargés de matériel[2], et ses quatre membres[3] se présentent aux portes du camp de la Linière de Grande Synthe. Ce nouveau camp, qui remplace celui de Basroch devenu, avec l’arrivée massive de réfugiés, un véritable cloaque, fonctionne depuis début mars. A l’initiative du maire de la commune, Damien Carême, avec Médecins sans Frontière, de petits cabanons en bois ont remplacé les tentes informes donnant naissance au premier camp HCR[4] de réfugiés en France.

    Solidarité corse avec les Réfugiés de Grande SyntheL’association Salam (Soutenons, Aidons, Luttons, Agissons pour les Migrants et les pays en difficulté) nous attend et une fois effectués les contrôles de police nous faisons, physiquement, connaissance de Claire avec qui nous avions le contact par messagerie interposée et qui nous a aidé à l’organisation du programme.

    Très vite et sans attendre, nous sommes dirigés dans le camp et procédons à la distribution des matelas qui sont répartis en nombre devant des tentes ou cabanons.

    Ici c’est l’efficacité qui est requise, chaque bénévole présent, qu’il soit là pour plusieurs jours ou pour quelques heures a une tâche à effectuer. Entre 1300 et 1400 réfugiés actuellement sur le camp et des repas à distribuer (matin, midi et soir), un entretien à assurer, des soins à apporter, des espaces vie pour les familles et les petits enfants qui vont et viennent sur des vélos. Plus de 100 bénévoles requis par jour.

    Quelques cabanons devant lesquels est déposé le matériel, sous la direction de l’association Utopia56 qui a en charge la gestion du camp, sont fermés. Les bénévoles nous indiquent que beaucoup dorment encore, en effet la course aux camions s’est achevée tôt le matin. Le même rituel se répète chaque jour avec un seul objectif, le passage en Angleterre.

    Solidarité corse avec les Réfugiés de Grande SyntheDamien Carême, qui nous a longuement reçu, à la maison communale de Grande Synthe, nous explique que très vite, en l’espace de quelques mois, l’ancien camp de Basroch est passé d’une population composée d’une centaine de personnes à près de 2800 début 2016 rendant l’espace totalement impraticable avec des conditions de vie déjà extrêmement précaires devenues très vite insupportables, inacceptables et indignes. Le camp de la honte, comme il le dit lui-même.

    Sans hésiter et parce que cette situation dramatique ne pouvait durer un jour de plus, il a décidé, sans tarder et malgré l’avis contraire de l’Etat, avec MSF de construire un nouveau camp répondant à des normes humanitaires.

    Sans un centime de l’Etat[5], une structure a très vite été montée et le déménagement s’est effectué en 2 jours. La population de Grande Synthe a été soulagée de cette décision, régulièrement informée de l’évolution du projet. En effet les conditions sanitaires de vie des réfugiés ont soulevé beaucoup d’inquiétudes auprès des grand-synthois à l’approche de l’hiver mais très peu d’hostilités quant à leur présence. Grande Synthe est une ville de l’immigration avec une population qui a largement participé au développement de l’industrie dans la région avant son déclin.

    Si les heurts organisés par des groupuscules d’extrême droite s’affichent à la une des médias, les associations sur place nous confirment qu’il n’y a pas de conflits particuliers entre riverains et réfugiés. Pour preuve le résultat du Front national qui malgré un score important sur la région avec plus de 40 % lors des élections régionales de 2015 a, dans cette commune qui subit la crise de plein fouet avec un taux de chômage avoisinant les 24% et un revenu annuel moyen de 9600 euros, été un des plus faibles obtenu sur la région.

    I see humans but I don’t see humanity, Je vois des humains mais je ne vois pas d’humanité, Welcome to reality, Bienvenue dans la réalité, I am e separatist in Irak, a foreigner in Syria, a terrorist in Turkey and an enemy of God in Iran, no I am just a kurd want my hand back, Je suis un séparatiste en Irak, un étranger en Syrie, un terroriste en Turquie et un ennemi de Dieu en Iran, non je suis juste un Kurde qui espère une main tendue.

    Ces messages écrits, lancés comme des bouteilles à la mer, à même les cabanons révèlent bien la détresse psychologique de ces milliers de réfugiés jetés sur les routes d’un exode dont ils n’ont pas imaginé, à leur départ, combien allaient être grandes les difficultés. Après avoir fui la guerre et la misère, bravé les dangers et risqué leur vie, ils se retrouvent piégés dans un entonnoir. Un mur invisible a été érigé là, à une encablure de leur destination rêvée. Et une nouvelle fois, ils doivent engager leur vie pour tenter de joindre l’Angleterre. Ils n’ont pas choisi, ils ne l’ont pas voulu, ils y sont contraints.

    Solidarité corse avec les Réfugiés de Grande SyntheNombre d’entre eux, s’ils espèrent rejoindre un membre de leur famille, ont laissé beaucoup de leurs proches derrière eux, et la blessure est ouverte, béante, ne pouvant se refermer que sur une indifférence et une hypocrisie orchestrées par les pays d’Europe.

    Pourtant ils restent concentrés sur un passage, à tout prix, de l’autre côté du détroit qui sépare les ports de Calais et Douvres. Un passage, à tout prix, au péril de leur vie une fois de plus, comme nous le confirme Martine, bénévole de Salam. Il y a eu plusieurs morts déjà et l’hôpital de Calais voit affluer de nombreux blessés avec fractures ou brulures au passage du tunnel.

    Per a Pace a déjà rencontré ces situations, quant au Maroc, dans le port de Nador, tout était moyen pour rejoindre un prétendu Eldorado, se glisser sous un essieu, se faufiler sous la bâche du camion, etc. avec une seule phrase répétée inlassablement s’ils étaient pris, « je recommencerai ».

    C’est à Calais, que nous amenons le reste de notre chargement. L’association Salam est notre référente pour pouvoir pénétrer à l’intérieur de cet immense campement de fortune.

    Presqu’adossé à un massif blockhaus[6], les locaux de Salam sont assaillis par des dizaines de réfugiés qui chaque jour ont besoin d’une nouvelle paire de chaussures, d’un duvet, de vêtements secs. Le travail des bénévoles est ici considérable, Claire, Yolaine, Martine, Isabelle, Etienne, et tous ceux rencontrés sur Grande Synthe et Calais font preuve d’un engagement journalier et sans relâche, happés par cette relation à l’humain, marqués par l’injustice qui frappe ces hommes et femmes livrés aux horribles conséquences des guerres, sensibilisés à la fragilité d’un monde qui vacille. Beaucoup de jeunes vont et viennent avec des dossards fluo, mentionnant l’association à laquelle ils appartiennent. Ils n’hésitent pas à donner de leur temps, jusqu’à quelques mois, jusqu’à mettre entre parenthèses études ou travail pour apporter aide et soutien et surtout comprendre ce qui n’est pas juste un hasard mais une réalité que notre mode de vie a trop tendance à occulter. Ils ont compris ces jeunes bénévoles que leur vie avait un sens au-delà des frontières et que l’indifférence est dangereuse.

    Solidarité corse avec les Réfugiés de Grande SyntheA Grande Synthe[7], la population kurde représente près de 98 % du camp. Cette région du Kurdistan qui au lendemain de la chute de l’Empire Ottoman avec le traité de Lausanne de 1923, quand les puissances européennes ont dessiné de nouvelles frontières, a été oubliée. Les kurdes ont été privés d’Etat et sont restés dispersés entre quatre pays : l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie. Un Kurdistan riche en pétrole et en eau…

    Une population oubliée, en déshérence, désabusée.

    Une écrasante majorité d’hommes jeunes, Kurdes irakiens pour la plupart, Kurdes iraniens, Irakiens non kurdes, Afghans, …mais des familles aussi avec de jeunes enfants, de plus en plus nombreuses. Les personnes rencontrées sont discrètes, peu se racontent par peur des conséquences pour leurs proches, pour eux-mêmes et leur projet, par pudeur aussi, l’enfer traversé est trop proche ou encore là.

    Les femmes sont visibles à Grande Synthe mais cantonnées à Calais, pour certaines le chemin de la liberté s’est transformé en calvaire. Elles essaient pour la plupart de rejoindre leurs maris. Un danger les guette particulièrement, le viol et elles restent terrorisées car souvent la proie des passeurs.

    Les passeurs, un monde obscur qui profite de la misère pour racketter et imposer sa loi. Jusqu’à 5000 euros le passage entre France et Angleterre et des « stocks » à gérer. Ils se fondent dans la masse des réfugiés, cadenassent l’accès aux cabanons,…, et font du désespoir leur fonds de commerce.

    L’association Per a Pace s’engage au quotidien pour la Paix et s’est toujours résolument prononcée contre la guerre. Elle s’engage ici avec sa quatre-vingtième action de solidarité à toujours privilégier les rencontres et les échanges dans le respect des cultures et la connaissance de l’autre dans ses différences. Aujourd’hui le monde entier est mis à mal, la violence et la barbarie côtoient le quotidien des femmes et des hommes de la planète. Aucun endroit n’est épargné. Des populations sont jetées sur les routes de l’exode, dans la détresse et l’abandon, livrées à eux mêmes.

    Plus que jamais et en urgence, une réflexion doit être engagée sur les politiques internationales menées depuis plus de 30 ans. La politique de confrontation et de guerre entraine le monde au chaos. En terme d’exemple, la France pourrait décider d’interdire les ventes d’armes dans le monde, elle qui est aujourd’hui se place au 3ème rang mondial des ventes avec entre 2014 et 2015 une progression de 8 à 15 milliards.

    Il faut qu’un sens soit redonné à l’ONU et que le droit de veto attribué aux seuls pays vainqueurs de la seconde guerre mondiale soit aboli, trop souvent un frein aux projets de paix durable.

    La guerre n’est jamais une solution et à « la force des armes, il faut substituer la force de la diplomatie, du dialogue et de la raison ».

     Pascale Larenaudie

    Animatrice Per a Pace

    "Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté. L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité.
    Un long chemin vers la liberté" Nelson Mandela

     

     


    [1] Association Per a Pace – Pour la Paix (Ajaccio)

    [2] Près de 80 matelas, des couvertures, des duvets, des vêtements, essentiellement hommes, des produits d’hygiène. La générosité des particuliers avec un appel à souscription et matériel (Pays ajaccien, Taravo, Balagne,…), du Secours Populaire, de l’association Rinascitta a permis d’apporter une aide conséquente aux réfugiés avec le soutien de partenaires tels que la Corsica Ferries qui a offert les passages entre Corse et Continent pour les véhicules et les passagers et la CCAS, pour un prêt de véhicule, les Etab. Leclerc pour une réduction sur le deuxième véhicule, assurant ainsi une aide conséquente à la logistique de cette action 

    [3] Pascale Larenaudie, Jacques Casamarta, Robert Armata, Yves Thierry, accompagnés de Philippe Marini (photographe)

    [4] HCR : Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies

    [5] Aujourd’hui, l’Etat assure s’engager sur les dépenses de fonctionnement du camp de la Linière.

    [6] Vestige de la seconde guerre mondiale. La grande majorité se trouve dans la Région du Nord Pas de Calais

    [7] A voir, « Nulle part en France » film documentaire de Yolande Moreau

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