• Trois questions à Benjamin Coriat

    photo 628Nous avons posé trois questions à Benjamin Coriat, professeur d'économie à l'Université de Paris XIII et co-président des Economistes atterrés, sur le comportement du gouvernement Ayrault face au dossier ArcelorMittal qui à ce jour est loin d’être définitivement bouclé. De même, nous lui avons demandé si la notion de nationalisation était encore une notion d’actualité dans un contexte caractérisé par une profonde crise financière et par la mise en œuvre de sévères politiques d’austérité partout en Europe.

     Manca alternativa. Que peut-on penser, après plusieurs semaines, à froid – si on peut dire - de la volteface du gouvernement Ayrault sur le dossier ArcelorMittal, alors que le principe de la nationalisation du site de Florange, même temporaire, était quasiment acquis ?

    Benjamin Coriat. C’était évidemment une très mauvaise nouvelle. Cette décision signifiait qu’au fond, ce gouvernement n’était pas prêt à se doter des moyens et instruments nécessaires pour affronter la crise catastrophique que nous traversons. A Florange, la nationalisation partielle (et temporaire) était pourtant un instrument adapté, car le site (à condition d’y inclure l’aciérie), est parfaitement rentable comme l’ont montré à la fois les études commanditées par les experts du gouvernement et certains documents internes au groupe ARCELOR rendus publics depuis sur le site de La Voix du Nord.

    En cédant à plate couture devant MITTAL, qui s’est empressé quelques jours après la négociation d’indiquer qu’il retirait son projet ULCOS de technologies « propres » (sur lequel Ayrault feignait de faire peser tous ses espoirs …), le gouvernement a donné un signal catastrophique. Il semble dire aux grandes multinationales qu’elles peuvent agir à leur guise (ou presque) en matière de restructurations et de licenciements. Que le gouvernement ne se mettra pas au travers leur route.

    Evidemment c’est le signal inverse qu’il fallait donner pour tenter de s’opposer à la saignée à laquelle nous assistons.

    Manca alternativa. Au-delà de la position du gouvernement, qui visiblement a reculé sur toute la ligne face aux pressions du patronat, il est un thème qui resurgit dans le débat actuel, celui de nationalisation. Archaïsme ou moyen moderne pour s’opposer à la financiarisation outrancière de l’économie ?

    Benjamin Coriat. A mon sens, la nationalisation n’est pas et ne doit pas être considérée comme une potion magique capable de résoudre tous les problèmes. Et il est bien difficile de dire à l’avance quand une nationalisation peut constituer une solution crédible et durable. Les cas de Florange, comme aussi celui de la papèterie d’Alizay rachetée  avec de l’argent public (du conseil régional) pour faciliter sa revente à un groupe privé montre cependant qu’elle peut être efficacement utilisée comme instrument « tactique », pour empêcher des fermetures et préparer des adaptations en se donnant du temps.

    Mais il faut sur ce sujet, me semble-t-il prendre du recul et mener une réflexion d’ensemble. Par vagues successives (commencées en 1986), l’économie française a connu un cycle immense de privatisations qui s’est finalement traduit par le fait que le parc public français (qui était alors un des plus importants du monde), a été réduit à une peau de chagrin. Si l’on garde cela en tête, il ne me paraît pas irraisonnable de réfléchir à un rééquilibrage pour revenir à des formes « d’économie mixte ». Non que « l’économie mixte » soit une fin en soi, bien sûr. Mais dans le  moment actuel, elle constituerait un progrès et redonnerait des marges d’actions au pouvoir politique, alors qu’avec la mondialisation et les privatisations, il ne lui en reste plus beaucoup.

    Pour que ces « récupérations » de capacités industrielles et productives soient efficaces et acceptées, il faut aussi progresser dans la manière de gérer le bien commun et plus généralement les biens publics. La nationalisation se traduisant seulement par un transfert du pouvoir de décisions à des bureaucrates nommés par le gouvernement a fait son temps et a montré ses limites (pensons au scandale du Crédit Lyonnais par exemple, qui à l’époque, était bien une entreprise publique). Il faut s’avancer résolument vers des formes nouvelles de démocratie dans l’exercice du pouvoir. Dans laquelle, les comités d’usagers, les citoyens, les représentants des collectivités territoriales concernées…., bref toutes les parties prenantes pourront faire entendre leurs voix et peser sur les décisions.

     Manca alternativa. Dans quels secteurs la nationalisation peut-être envisagée dans le cadre d’une véritable politique économique alternative ?

     Benjamin Coriat. Si l’on retient l’idée de procéder aux « rééquilibrages » auxquels je viens de faire référence, je pense immédiatement à deux grands domaines.

    Le premier concerne le secteur bancaire. Il me paraît indispensable de reconstituer un pôle public bancaire significatif (les privatisations de 1986 et 1993 ont conduit à privatiser 100 % du secteur). De ce point de vue, ce qui a été fait avec la BPI est très insuffisant. Sa capitalisation est insuffisante. Et son périmètre d’action a été défini de manière trop restrictive. Ici encore le gouvernement a raté le coche. On aurait pu et du faire plus et en plus grand. S’appuyer sur la Caisse des Dépôts, mais aussi le stock d’actifs bêtement stérilisés dont dispose l’Etat (gérés par L’Agence des Participations d’Etat)  pour construire un vrai pôle bancaire public ambitieux doté de vrais moyens d’action.

    Ensuite, je pense immédiatement à l’énergie. Il n’y a aucune raison que Total, par exemple, opère sous forme de SA privée, et de ce fait distribue tous les ans des sommes extravagantes à ses actionnaires  (sous forme de dividendes et/ou de rachat d’actions). L’actif stratégique de cette compagnie qui est constitué par l’accès aux champs de pétrole, dépend en fait et avant tout de l’action publique et diplomatique. C’est elle par dessus tout qui ouvre l’accès aux champs pétrolifères. Dans ces conditions pourquoi engraisser des actionnaires privés ?

    A cela il faut ajouter que le pétrole est appelé à disparaître (en tous cas à tenir à l’avenir, moins de place) et donc qu’il serait avisé que l’argent qu’il rapporte aujourd’hui soit utilisé pour préparer les énergies propres de demain. Ma conviction est qu’un groupe public où règnerait un véritable esprit de défense du bien commun, ferait cela mieux qu’un groupe privé courant après les profits et les dividendes à distribuer à ses actionnaires …

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  • Commentaires

    1
    Naja
    Mardi 12 Février 2013 à 14:15
    J'aimerais connaître votre position quant à un "pôle" d'activités énergétique qui reste surpuissant et me semble incontrôlé, voire en l'état incontrôlable : le nucléaire.Merci de me répondre.
      • Manca alternativa Profil de Manca alternativa
        Mercredi 13 Février 2013 à 21:08
        Une réponse de Pidone: Areva est le groupe du pôle énergie nucléaire. C’est une société anonyme dans laquelle l’état détient la majorité du capital en partie directement et en plus grade partie à travers le commissariat à l’énergie atomique et à l’énergie renouvelable. Les autres actionnaires sont la caisse des dépôts et des consignations et EDF (2,24%). Benjamin Coriat s’est montré favorable à une nationalisation de Total pour le pétrole. Il a expliqué sa position. La problématique est la même pour le nucléaire et donc le fait qu’Areva soit un groupe national se justifie d’autant plus que le nucléaire est aussi une énergie stratégique militaire. Nous ne voyons pas comment une privatisation du nucléaire rendrait plus contrôlable ce pôle d’énergie, si c’est là que vous voulez en venir. Nous pensons bien au contraire qu’elle le rendrait encore plus dangereux. Par ailleurs, puisque c’est l’Etat qui contrôle cette énergie éminemment dangereuse, c’est lui seul qui a la possibilité d’en limiter l’expansion et d’aller vers son abandon progressif pour adopter des énergies renouvelables plus pacifiques et moins dangereuses pour la planète. Ce n’a pas été le cas jusqu’à présent car aucun chef d’état n’a eu la volonté de le faire. On peut espérer que sous la pression de l’opinion publique alarmée par les récentes catastrophes nucléaires, l’Etat ira vers l’abandon progressif du nucléaire et la promotion des énergies renouvelables et non polluantes. Les pertes d’emploi dans le nucléaire peuvent être compensées par les nouveaux emplois nécessaires à cette mutation.
    2
    Manca alternativa
    Mardi 19 Février 2013 à 16:47
    Les Amis du Monde Diplomatique (AMD) de Paris organisent une soirée débat sur le thème "Alternatives économiques, sociales et politiques à la crise actuelle"

    Avec

    Benjamin CORIAT, Professeur d'économie à Paris XIII, co-président du Collectif les Économistes Atterrés, sur les alternatives macro-économiques

    • Histoire de la crise depuis 2008, assortie d'exemples antérieurs ou actuels : ajustements structurels des années 80, Argentine 2001, Irlande, Grèce...
    • Débats internes à l'Europe et relations aux pays émergents qui se rapprochent du modèle européen avec croissance des inégalités chez eux
    • Sortir de l'Europe ?
    • Que faire des Forums Sociaux Mondiaux ?

    et

    Guillaume ETIEVANT, économiste, membre de la Fondation Copernic, sur les alternatives entre acteurs productifs

    • Histoire de quelques plans sociaux des années récentes : comment distinguer les plans productifs et les plans financiers ?
    • Objectifs à récuser ou à atteindre : renforcement des Comités d'Entreprise et droits sociaux (comparaison entre pays de l'Europe), rapport Gallois, référence au modèle de co-détermination allemand...
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