• Un capitaine de pédalo dans la tempête

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    Nous publions une interview de Jean-Luc Melenchon, parue dans le Journal du Dimanche du 13 novembre 2011.

    Le nouveau plan de rigueur de François Fillon vise à compenser la diminution de la croissance… Vous en pensez quoi?
    Il prépare une économie de cimetière. Seuls les morts pourront vivre à l’aise dans ce pays puisqu’ils n’ont besoin de rien. C’est un contresens économique. L’austérité réduira l’activité, les rentrées fiscales baisseront et les déficits augmenteront. Toute l’Europe s’y met! Partout, les résultats sont pitoyables. Voyez aussi le déni de démocratie! L’Assemblée vote un budget, et le lendemain, le chef de l’État change le chiffre qui a servi à calibrer ce budget! Enfin, c’est un contresens politique. Il commence la danse de Saint-Guy de l’austérité. Cette agitation pour satisfaire les agences de notation déchaîne les requins de la finance. Tout cela nous mène au désastre. Nous sommes en danger. Mais si l’Italie tombe, si l’Espagne entre en turbulence, le système implosera avant. Fillon prétend rassurer les marchés. Moi, je veux rassurer les salariés et les entreprises avec la relance de l’activité.

    La dette publique était de 21,2% du PIB en 1978 et de 82,3% en 2010. Est-ce que cela vous préoccupe?
    Ce n’est pas la dette qui est inquiétante. Les titres de la dette en France ont une durée moyenne de sept ans et trente et un jours. Durant cette période, la France produira 14.000 milliards d’euros, et nous devons aujourd’hui 1.840 milliards d’euros – c’est-à-dire 12,5% du total. Le déficit est insoluble parce qu’on a diminué les recettes. Il faut taxer beaucoup plus sérieusement les revenus du capital – à hauteur de ceux du travail – et taxer davantage les bénéfices des grandes entreprises que ceux des petites.

    La France doit-elle payer toute sa dette?
    Ceux qui veulent nous faire rembourser rubis sur l’ongle nous prêtent toujours plus cher. Il faut rendre les coups. Il est donc normal qu’on s’intéresse au contenu de la dette. J’appuie le mouvement qui s’interroge sur sa légitimité et demande un audit.

    Les mesures prises récemment suffiront-elles à éviter à la France ce qui arrive à l’Italie?
    Non. Il y avait une mesure efficace : que la BCE prête directement aux États à 1,25% comme elle le fait aux banques privées, qui, elles, prêtent ensuite à 18% à la Grèce. Coupons ce circuit! Permettons l’emprunt direct. La spéculation serait immédiatement étouffée. Ma thèse était isolée, puis elle s’est élargie au point que le président de la République en a présenté une version baroque : transformer le FESF en banque. Il y a eu un bras de fer entre la France et l’Allemagne. Sarkozy a capitulé. Il a fait "pschitt" devant Mme Merkel!

    «Sarkozy est pour la rigueur, et Hollande est pour "donner un sens à la rigueur". Quelle différence!» Cette "saison des tempêtes", comme vous l’appelez, peut-elle bénéficier à Nicolas Sarkozy?
    Je n’ai jamais cru qu’il était battu d’avance. Je vois bien qu’il joue beaucoup de la dramatisation et de la peur pour se présenter en champion capable de tenir la barre. Il peut être cru si ses opposants ont petite mine. Or que voyons-nous? Nicolas Sarkozy est pour la rigueur, et François Hollande est pour " donner un sens à la rigueur". La rigueur, ou la rigueur? Quelle différence! Mon travail est de dire : nous, on peut faire tout autrement.

    Pour régler la crise, vous mettez dans le même camp Hollande et Sarkozy?
    Ils ont la même analyse de la crise. Hollande et Sarkozy sont deux hommes d’un autre temps. Ils ne voient pas la faillite du système. Je représente dans cette discussion une autre cohérence. Le Front de gauche propose un programme de relance de l’activité. Il y a des outils dedans : le salaire maximum, le smic à 1.700 euros, la planification écologique. Nous visons une double rupture : avec le capitalisme et avec le productivisme. C’est un programme qui coûte, mais qui rapporte aussi de nouvelles recettes. Je voudrais en débattre avec François Hollande. Il ne répond pas. Quel mépris!

    À vous écouter, Hollande élu serait le Papandréou français?
    C’est sa pente! Notez encore son silence quand la droite et l’extrême droite entrent au gouvernement grec! Ici, la ligne de Hollande est incapable de rassembler une majorité populaire pour battre Nicolas Sarkozy. La vraie bataille est de savoir si le peuple français veut tourner la page de ce modèle économique. Les Français seront-ils capables de surmonter la peur et le carcan idéologique dans lequel le duo Sarkozy-Hollande les enferme?

    Vous considérez François Hollande comme plus proche de François Bayrou que de vous?
    Aujourd’hui? Oui, je le vois bien.Certes, je ne mets pas un signe égal entre lui et Bayrou ou Sarkozy. Mais l’un des enjeux est de savoir où les Français placent le curseur contre Sarkozy. Plutôt du côté de Bayrou, ou avec le Front de gauche ? C’est l’un ou l’autre. Les électeurs socialistes vont devoir trancher cette question aussi. C’est un des enjeux du premier tour à gauche.

    «On s'aperçoit que les Verts échangent des centrales nucléaires contre des circonscriptions»

    La ligne de Hollande, que vous qualifiez de "sociale-centriste", est-elle conciliable avec la vôtre?
    C’est une autre paire de manches. C’est avec François Hollande à sa tête que le PS s’est aligné sur le Parti socialiste européen et le "oui" à l’Europe libérale. Il enrobe de bons mots et de petites blagues une obstination sociale-libérale depuis ses textes de 1983. Pourtant, la gauche gagne les élections quand elle est sur une ligne de gauche et elle les perd quand elle est sur une ligne centriste. À présent, à gauche, pourquoi choisir, pour entrer dans la saison des tempêtes, un capitaine de pédalo comme Hollande ? Je suis candidat pour que la gauche l’emporte, mais pour changer pour de bon l’avenir.

    Vous êtes personnellement favorable à la sortie du nucléaire. De quel œil voyez-vous les négociations sur ce sujet entre le PS et EELV?
    Tout cela est déplorable. D’un côté, François Hollande décide tout seul qu’il continue le nucléaire; de l’autre côté, des gens catégoriques disent "il faut sortir du nucléaire". Puis on s’aperçoit qu’ils échangent des centrales nucléaires contre des circonscriptions. Tout cela sent beaucoup la carabistouille. Il faut proposer un objectif commun au pays : sortir des énergies carbonées. Et donner la décision sur le nucléaire au peuple après un débat approfondi : un référendum!

    Vous vous entendez mieux avec EELV qu’avec le PS?
    Souvent! Avec les Verts, il y a une influence mutuelle. Ils sont nombreux à être devenus anticapitalistes. C’est eux qui ont ouvert le chemin de l’écologie politique en France, et ils nous ont contaminés. Souvent on s’aperçoit que les Verts sont plus proches de nous que du PS. Beaucoup aussi sont pour une rupture avec le modèle dominant.

    Le patron d’EDF, Henri Proglio, estime que la sortie du nucléaire menace un million d’emplois. Que lui répondez-vous?
    Un homme aussi intelligent devrait s’interdire des arguments aussi rustiques. La sortie du nucléaire créera aussi de l’emploi. Mais la première question est celle de la dangerosité. L’attitude de M. Proglio est obscurantiste. Au lieu de faire réfléchir, il fait peur. Si les antinucléaires ont raison, va-t-on payer d’un million d’emplois la dévastation de notre pays?

    Bruno Jeudy et Arthur Nazaret - Le Journal du Dimanche  - samedi 12 novembre 2011

    Et le 14 novembre, Jean-Luc Mélenchon s'explique chez BFM...

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