• 120.000 à la Bastille

    Dimanche 18 mars 2012.

    Place de la Nation à Paris.

    13h30.

    Un dimanche qui ne s’annonçait pas comme les autres. Il pleuviotait. Des milliers de personnes commençaient à affluer. On sortait les banderoles, les drapeaux, les ballons. La couleur dominante ? Le rouge. Front de gauche, Parti de gauche, Parti communiste français, Fédération pour une alternative sociale et écologique, etc. Un manifestant se risqua à pousser un juron que la morale nous interdit de reproduire. Puis, ajouta haut et fort : « Putain, il pleut. Les Dieux sont avec  Sarko ou Flamby. Ils vont nous pourrir la manif, qu’ils soient maudits. » En effet, la pluie redoublait d’ardeur. Un de ses collègues, narquois, un peu moins pessimiste, lui rétorqua : « T’en fais pas Polo, je vais téléphoner à ces Dieux ». Il prit son téléphone et mina une conversation avec les représentants de l’Olympe.  Miracle. La pluie cessa comme par enchantement. Les bouches du métro continuaient à dégorger des flots de manifestants.

    La 6éme république en marche

    A 14h30, la tête du cortège démarra en direction de la place de la Bastille, en empruntant le boulevard du Faubourg Saint-Antoine. La première marche pour la 6éme république s’élançait, colorée, massive, joyeuse. Du rarement vu depuis des lustres. Il était difficile de savoir d’où venait tout ce monde. De Paris, de sa banlieue, de Lille, Brest, le Havre, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice, Dijon, Montpellier, etc. Une seule certitude, la présence d’Ajacciens. Nous y étions. En tout cas, il y avait les salariés de Fralib, d’Arcelor-Mittal, de Pétroplus et bien d’autres boîtes en lutte pour leurs survies. Toujours animés de la même détermination et de la même combativité. Il y avait des gens de toutes catégories, de toutes origines. Beaucoup de jeunes. Mais la dominante, c’étaient les quinquagénaires et les sexagénaires, heureux de se retrouver là, « comme au bon vieux temps », comme le disait, avec un large sourire, l’un d’entre eux. Ils renaissaient. Ils avaient l’impression de sortir d’une période de léthargie, de résignation. Beaucoup avaient renoncé à la lutte politique, désabusés. Et puis, il y a eu ce déclic, avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon. On renouait enfin avec l’espoir de construire quelque chose de neuf, de plus social, de plus démocratique.

    La place de la Bastille était en vue, après une heure de marche. Toujours pas de pluie. Et c’était tant mieux. Quelques rayons de soleil se risquaient même à percer de temps à autre un ciel chargé d’épais nuages gris.

    Nous sommes 120.000

    La Place de la Bastille n’était pas vide. Des milliers de personnes attendaient l’arrivée du cortège de la 6éme république. Sans doute des malins qui ne voulaient pas se prendre une jolie saucée, à cause d’une pluie menaçante ou qui préféraient ne pas se taper à pied la distance qui séparent les deux places.

    Un grand écran était installé face à la colonne de la Bastille. Sur celui-là apparaissait une jeune femme, micro à la main, chargée d’accueillir les nouveaux arrivants. « 120.000. Nous sommes 120.000 », s’écria-t-elle. En guise de réponse, une immense clameur s’éleva pour saluer l’annonce. Du jamais vu depuis longtemps. Sans forfanterie, on peut dire qu’il s’agissait là du plus grand rassemblement de la campagne électorale pour les présidentielles. Rassemblement qui a dû susciter pas mal de jalousie et de commentaires aigre-doux dans le landernau politique traditionnel.

    La France qui trime était parmi cette foule. Beaucoup avaient conscience que quelque chose de grand était en train de naître. Un peuple commençait à se réveiller et à entrevoir de nouvelles perspectives. Oui, une politique alternative à la dictature des marchés financiers devenait possible et crédible.

    Un drapeau corse flotte sur la Bastille

    Parmi la multitude des drapeaux qu’on agitait sur la place, tous rouges ou presque, il y en avait un qui tranchait singulièrement avec les autres. Un drapeau blanc, frappé de la tête de maure. Un drapeau corse. On ne voyait que lui. Ce fut pour les Corses présents à la manifestation et peut-être aussi pour beaucoup d’autres manifestants un petit moment d’émotion. La Corse était présente sur la place de la Bastille. Cette région exceptionnelle qui veut en finir avec les magouilles, avec le clientélisme. Cette Corse qui veut participer à la transformation démocratique du pays.

    Le vote utile, c'est Mélenchon

    Vers 17 heures, la place de la Bastille était définitivement prise, pleine à craquer. Les derniers arrivants se voyaient refoulés à l’extérieur de la place, sur les boulevards Beaumarchais, Ledru Rollin et autres rues adjacentes.

    Nous avons essayé de nous frayer un passage parmi les manifestants afin d’y filmer quelques vidéos et d’y glaner quelques commentaires et autres appréciations à chaud. La tâche fut rude. Que disaient ceux que nous avons pu approcher ? La plupart avouaient vivre un moment exceptionnel qu’ils n’avaient jamais imaginé. « Nous pensions être 20 ou 30.000. Mais nous nous retrouvâmes 120.000 en arrivant à la Bastille, dit en plaisantant un manifestant qui avait sans doute lu Corneille. Un autre, goguenard reprit la célèbre phrase de Sarko : « Casse-toi, pauvre con ». Un troisième ne put s’empêcher de répondre au discours de François Hollande, prononcé la veille : « Le vote utile, c’est le vote Mélenchon. Et non pas Hollande. C’est le vote pour le Front de gauche et son programme. Il n’est pas question de signer un chèque en blanc aux socialistes. Voyez la responsabilité de leurs amis Zapatero, Papandreou ou encore Socrates dans l’aggravation de la crise, dans leurs pays respectifs ». Tous ceux que nous avons approchés ne reviendront pas sur leur choix, surtout après le succès de la manifestation. Ils voteront Mélenchon au premier  tour, sans état d’âme. Donc, pas question de changer d’opinion. Changer signifierait capituler devant le chantage des partisans du vote utile en faveur de Hollande et ouvrir la voie au social-libéralisme à la française. Social-libéralisme qui a fait faillite en Espagne, au Portugal et en Grèce.

    Nous sommes le cri du peuple

    Puis vint le moment que tout le monde attendait. A 17 heures, Jean-Luc Mélenchon monta sur la petite tribune installée à cet effet. Mais il était préférable de regarder le grand écran pour apercevoir le candidat du front de gauche. Celui-ci prononça un discours chaleureux, sans emphase, fort, prégnant. « Nous sommes le cri du peuple ! Le peuple des oubliés, des méprisés, des abandonnés, lança-t-il avec force. Le cri de tous ceux qui voudraient apporter le concours de leur intelligence et refusent la morale de l’égoïsme. Je vous appelle à commencer le printemps des peuples ». Cette phrase souleva une immense ovation. Et d’ajouter : « Nous sommes rassemblés parce que nous allons faire de cette élection une insurrection civique, en se donnant rendez-vous dans les urnes ». Le candidat du Front de gauche parla aussi de la 6éme république : « Avec la constituante, nous mettrons fin aux privilèges, nous rétablirons la citoyenneté dans les entreprises. » Il proposa en outre de nouveaux droits pour la nouvelle république : Dignité humaine pour les couples, droit à l’avortement, droit de décider de sa propre fin, liberté de conscience et laïcité sur tout le territoire, interdiction de breveter le vivant, droit du sol, etc.

    Le discours s’acheva vingt minutes plus tard, salué par une autre immense ovation.

    Oui, quelque chose de nouveau est née ce 18 mars 2012, à la Bastille. Quelque chose qui ne finira pas de surprendre.

    Lazio

    Article lié en cliquant ci-après:  Reprenons la Bastille 

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