• La malamorte en spectacle...

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    Le compte macabre a recommencé en 2013. La cinquième victime de règlements de comptes  est tombée sous les balles à Venaco. Jérôme Salvadori, 37 ans, était connu des services de police  et avait été condamné en 1993, à l'âge de 18 ans, pour avoir poignardé à mort, lors d'une bagarre, l'un de ses amis, Augustin Baldacci, 17ans.

    En 2011, il y avait eu 22 homicides. Un site propose la chronologie des règlements de comptes, les assassinats et les tentatives d’assassinats  de mars 2012 à janvier 2013.  Cliquer ICI.

    On peut dresser une liste succincte des plus marquants :

    - Maurice Costa, présenté par la justice comme un pilier de la bande de la "Brise de mer", est  assassiné le 7 août 2012 à  Ponte-Leccia.

    -  Trois hommes connus de la police sont assassinés  le 11 septembre  en Haute-Corse à bord d'une voiture sur une route de montagne.

    - L'avocat Antoine Sollacaro est tué le 16 octobre de plusieurs balles alors qu'il fait de l’essence dans une station-service d'Ajaccio.

    -  Jacques Nacer, président de la Chambre de Commerce et d'Industrie (CCI) de Corse-du-Sud et dirigeant du club de football de l'AC Ajaccio, est tué le 14 novembre dans son magasin de vêtements du centre d'Ajaccio.

    - Jérémy Mattioni, 29 ans, est tué par balles aussi  le 7 décembre devant chez lui,  à Calvi, sous les yeux de l’enfant qui a été blessé.

    - Dominique Lorenzi, 40 ans, surnommé "L'Indien", est tué le 12 janvier 2013 au volant de sa voiture à proximité d'une manifestation d'enseignants à Ajaccio.

    - Tahit Adaimé, ouvrier agricole de 65 ans, est tué le 24 février d'une balle de 9 mm, chez lui dans le village de Prunelli-di-Fiumorbu, en Haute-Corse, par des individus cagoulés venus le racketter.

    - Anthony Galliot est assassiné le 1er Mars à Sainte-Lucie de Porto-Vecchio (Corse du Sud). Il avait été impliqué dans une affaire de vol d'or en Suisse, en 2004,

    Tous ces assassinats ne semblent pas liés au grand banditisme si l’on prend comme exemple celui de l’ouvrier agricole qui est un acte crapuleux commis par de petits délinquants dangereux. Toutefois c’est une évidence pour la plus grande partie. La Corse a son Milieu délinquant. Le grand banditisme s'est implanté au tout début des années 1980. On parle au Nord du gang de la Brise de mer et de la bande du petit bar au Sud, après avoir cité des noms de parrains corses pendant des années. Sans doute cette topologie criminelle est-elle schématique. La réalité est toujours plus complexe. On ne sait toujours pas si l’on peut  parler de mafia en Corse ou de Milieu corse. On préfère le plus souvent utiliser l’expression « dérive mafieuse ».

    Il est facile, pour la presse nationale, de classer les assassinats dans une violence endémique en Corse. Il est arrangeant, pour les autorités jacobines, de mettre l’absence de résultats policiers sur le compte de l’omerta. Pourtant cette violence, qui multiplie les morts d’hommes et qui reflète la montée du banditisme sur l’île, est aussi le fait des politiques menées depuis des décennies, plus accès sur la répression des Nationalistes que sur celle des truands. On peut même penser que l’on a pu se servir du banditisme pour combattre le nationalisme. C’est aussi la conséquence  de la compromission de quelques politiques avec des voyous pour  se réunir autour de l’assiette au beurre. L’immobilier et le tourisme permettent un enrichissement rapide. L’argent suscite les appétits féroces. Au fil des ans, alors que les attentats politiques ont diminué, les règlements de comptes transforment, si on mettait une croix à chaque scène de crime, la Corse en un grand cimetière. En ajoutant les morts de la route, on obtient une grande nécropole. On pourrait organiser un circuit touristique pour amateurs de polars et demander un AOC pour nos crimes. Voilà des idées qui devraient plaire à quelques journaleux toujours prompts à stigmatiser le Corse.

    Une seule région de France bat nos performances en matière de règlements de compte, c’est la région marseillaise, mais, si l’on fait les statistiques du nombre des victimes en regard du nombre d’habitants, nous sommes les leaders des décomptes macabres. Un vieux dicton corse dit d’Aleria « Aleria ! Aleria ! à chì  ùn amazza vitupéria » ( Aleria ! Aleria ! Ce qu’elle ne tue pas, elle le met à mal). Cela renvoie au temps où la malaria tuait sur cette côte marécageuse. Aujourd’hui, on pourrait dire la même chose de toute la Corse mais c’est le banditisme et l’affairisme qui tuent.

    Malgré les rodomontades du ministre de l’Intérieur (il n’est pas le premier à en faire), rien n’est fait pour installer un état de droit. Il faudrait d’abord créer les conditions économiques et sociales permettant aux Corses de vivre décemment sur leur sol, au lieu de livrer leurs héritages aux promoteurs immobiliers. La Corse a aussi besoin d’un renouvellement de la classe politique pour sortir des vieilles habitudes qui sont de véritables carcans empêchant progrès et ouvertures pourtant nécessaires à l’avenir humain de cette terre tant convoitée.

    Malheureusement, ici la fatalité s’est banalisée. Si la mort a ses codes, la vie n’a pas de mode d’emploi. Un petit poème d’Anton Francescu Filippini s’intitule « Cumu si  face a more ? »… Comment fait-on pour mourir ?  On sait comment tuer de mort violente (Cumu si face a scurà?) : le moyen le plus simple est l’arme de gros calibre et le guet-apens. Un journaliste corse a écrit : « L’île n’a fonction que de décor. Nous vivons dans une sorte de Cinecitta sans figures humaines ».  Chacun se fait son cinéma et le virtuel prend le pas sur la réalité, l’éphémère sur le durable. Il faudra cependant bien qu’un jour la « malamorte » (la mort violente)  ne se donne plus en spectacle.

    Même si la Corse est un décor de rêves qui tournent vite au cauchemar, elle ne doit pas sombrer dans un luxe vulgaire. Elle a sa généalogie de gens de la terre et de la mer. Elle est riche de sa culture et de son passé humain. Elle crée et entreprend. Sa destinée n’est pas de suivre le modèle de ces petites îles privées devenues des repères pour mafieux et milliardaires.

    sghìò Tale.

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