• La tradition lepéniste de la torture

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    On apprend que Serge Lazarevic, dernier otage français libéré, aurait subi des tortures. Et justement Marine Le Pen, digne fille de son père, a déclaré que la torture était un mal nécessaire lorsqu’elle a été Interrogée (pas sous le torture) par BFM-TV et RMC sur le rapport américain détaillant des sévices infligés par la CIA à des personnes suspectées de terrorisme. L’'eurodéputée eurosceptique a déclaré : « Moi, je ne condamne pas (...). Sur ces sujets-là, il est assez facile de venir sur un plateau de télévision pour dire : “Ouh la la ! C'est mal”. » et elle a ajouté sur l’usage de la question de l’usage ou de la torture : « Oui, oui, bien sûr, cela a été utilisé dans l'Histoire. Je crois que les gens qui s'occupent de terroristes et accessoirement de leur tirer des informations qui permettent de sauver des vies civiles sont des gens qui sont responsables ».

    Il faut toute de même rappeler que Marine Le Pen est avocate et qu’elle a reçu le soutien d’un autre avocat frontiste en la personne de Maître Gilbert Collard, défenseur du militaire français tortionnaire Auzarés. Nous sommes loin de la défense des droits de l’homme et de l’intégrité physique des prévenus. Alors, pour convaincre, ils nous sortent la version barbare de la morale kantienne : il vaut mieux savoir se salir les mains que de n’avoir pas de mains. Et puis, ils font appel à la peur de chacun : « bombe – tic-tac tic-tac tic-tac – doit exploser dans une heure ou deux et accessoirement peut faire 200 ou 300 victimes civiles », « il est utile de faire parler la personne ». C’est Maître Marine Le Pen qui le dit et Maître Collard ajoute : « C'est vrai que la torture doit être le recours ultime quand il faut sauver des vies, la torture pour la torture c'est ignoble, mais cette espèce de lâcheté qui consiste à dire 'Tant pis que les innocents meurent pourvu que j'aie les mains propres... Si pour sauver vingt, ou dix, ou deux ou une vie, je dois malmener un tortionnaire, je le fais, je le fais avec dégoût, mais ces choix sont absolument courageux ». Il va encore plus loin en personnalisant la peur et pour arracher l’aveu : si la vie d’un de mes proches était en jeu, je torturerai. Et puis, on peut dès lors aller encore plus loin, si mon proche meurt, je tue l’assassin et justifier ainsi le retour à la peine de mort selon l’article 12 du code pénal abrogé par la loi Badinter : « Tout condamné à mort aura la tête tranché ».

    On devrait demander à Monsieur Serge Lazarevic son avis sur le sujet. Ses tortionnaires pensaient-il avoir de bonnes raisons de le torturer et les torture étaient-elles gratuites ? S’il l’avait jugé coupable d’un crime quelconque, aurait-il été justifié qu’ils lui tranchent la tête ? Je le sais : la comparaison paraît incongrue. Pourtant c’est bien à un retour à la barbarie d’Etat que le Front National aspire. Comment peut-on justifier des tortures alors qu’Amnesty international en dénonce par milliers ? Comment peut-on encore vouloir revenir à la peine de mort, alors qu’aux Etats-Unis des condamnés à mort l’ont été par erreur ou acharnement politico-judiciaire ? La torture courageuse à laquelle Maître Collard fait référence, c’est celle de la guerre d’Algérie mais aussi celle de Franco, de Pinochet, de Videllla, de Kadhafi… de tous les dictateurs qui se trouvent des ennemis intérieurs. Amnesty International a publié un document accablant sur les tortures en Chine. Dans de nombreux pays, elle est resté un mode d’interrogatoire pratiqué légalement.

    Comment peut-on dissocier les actes de tortures en gratuits ou justifiés lorsque l’on a revêtu la robe d’avocat, alors que l’on est conduit à vérifier l’état de santé des mis en cause lors des gardes à vue ? C’est une question qu’il faudrait poser à l’ordre des avocats. Comment peut-on justifier la tortue lorsque l’on est une femme ou un homme politique responsable dans une démocratie qui fait partie des instances nationales ayant à juger des crimes contre l’humanité et les droits de l’homme ? La cour européenne des droits de l’homme pourrait répondre à cette question.

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    Une fois encore, Marine Le Pen fait appel à l’affect des électeurs, à leurs peurs, à la paranoïa ambiante. Elle s’inscrit dans la tradition lepéniste.  Elle répète ce que son père a dit et redit à maintes reprises sur l’utilisation nécessaire de la torture, notamment pendant la guerre d’Algérie. Accusé lui-même en 2002, d’avoir participé à des séances de tortures, il avait déclaré : « C'est un terme très vague la torture. Ça commence où ? Ça finit où ? Les procédés d'interrogatoires musclés se trouvaient justifiés par le secret, qui était l'arme principale des terroristes. » Dans une interview donnée à un quotidien israélien, il avait ajouté : « C'est très facile d'être critique quand on est assis dans son fauteuil. (…) Nous n'avons pas écrasé les terroristes en étant gentils avec eux. La guerre contre le terrorisme est une chose brutale ». En remontant plus loin dans le temps,  en 1987, il affirmait dans un article du Monde : « S'il faut torturer un homme pour en sauver cent, user de violences pour découvrir un nid de bombes, la torture est inévitable. »

    C’est exactement ce que disent Marine Le Pen  et Gilbert Collard. Et l’on nous bassine avec la dédiabolisation du Front national qui, pourtant en écoutant bien, n’a pas varié d’un iota sur des sujets qui touchent aux droits de l’homme et du citoyen.

    La torture estropie et tue des innocents qui n’ont rien à dénoncer ou à avouer. Alors, rappelons que, depuis longtemps, des hommes ont dénoncé la torture. En remontant au Moyen-âge, il est bon de relire un texte de Montaigne :

    C’est une dangereuse invention que celle des tortures et il semble que c’est plutôt une mise à l’épreuve de la capacité de souffrir qu’une mise à l’épreuve de la vérité. Celui qui peut les supporter cache la vérité. Celui qui peut les supporter cache la vérité et il en va de même… pour celui qui ne peut pas les supporter. Car pourquoi la douleur me fera-t-elle plutôt confesser ce qui est qu’elle ne me forcera à dire ce qui n’est pas ? Réciproquement, si celui qui n’a pas fait ce dont on l’accuse peut trouver en lui la force de supporter ces tourments, pourquoi un coupable ne trouverait-il pas une telle force puisqu’il peut, en contre partie, s’assurer la vie sauve ? Je pense que le fondement de cette invention est la prise en considération de l’effort de la conscience. Car, dans le cas du coupable, il semble qu’elle serve d’adjuvant à la torture pour lui faire confesser sa faute, et qu’elle l’affaiblisse, et dans l’autre cas, qu’elle fortifie l’innocent contre la torture. À vrai dire, c’est un moyen plein d’incertitude et de danger.

    Que ne dirait-on, que ne ferait-on pour échapper à d’aussi vives douleurs ?

    Etiam innocentes cogit mentiri dolor [1].

    Il arrive que celui que le juge a torturé afin de ne pas le faire mourir innocent, il le fasse mourir et innocent et torturé. À cause de la torture des milliers de gens se sont chargés de fausses confessions. Parmi ceux-là, je place Philotas, considérant les circonstances du procès que lui fit Alexandre et la progression des tortures auxquelles il fut soumis.

    Toujours est-il que la torture est réputée le moindre mal que l’humaine faiblesse ait pu inventer.

    Invention bien inhumaine et bien inutile, à mon sens ! Plusieurs nations, moins barbares en cela que la grecque et la romaine qui les tiennent pour barbares, estiment horrible et cruel de tourmenter et de désarticuler un homme dont la faute est encore douteuse. Qu’en peut-il, lui, de votre ignorance ? N’êtes-vous pas injustes vous qui, pour ne pas le tuer sans raison, lui faites pis que le tuer ? La preuve en est bien ainsi, la voici : voyez le nombre de fois où un homme préfère mourir sans raison que subir cette procédure d’information pire que le supplice que souvent, par sa cruauté, elle avance et accomplit.

    Je ne sais d’où je tiens ce conte, mais il rapporte exactement la conscience de notre justice. Une villageoise accusait devant un général d’armée, grand justicier, un soldat d’avoir arraché à ses petits enfants le peu de bouillie qu’il lui restait pour les nourrir, l’armée ayant ravagé tous les villages des environs. De preuve, il n’y en avait point. Le général, après avoir sommé la femme de bien regarder à ce qu’elle disait, d’autant qu’en cas de mensonge elle serait coupable de son accusation, fit, comme elle persistait, ouvrir le ventre au soldat pour connaître la vérité. Il se trouva que la femme avait raison. La condamnation avait tenu lieu d’instruction.

    Girandulone



    [1] La souffrance force à mentir même les innocents.

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