• Le journalisme en question ?

    Le journalisme en question ?Dans un article journalistique écrit par Emile Zola le 24 novembre 1888, l’auteur de Germinal s’inquiétait déjà de l’évolution du journalisme qui délaissait les articles de fonds propices à la réflexion pour satisfaire instantanément la curiosité et l’indiscrétion racoleuse. La presse donnait une importance démesurée au moindre fait, commenté, amplifié encore dans tous les journaux et occultant tout autre information pourtant plus importante.

    Emile Zola, journaliste et écrivain, avait dit son inquiétude. Voici ce qu’il exprima :

    « Ah, cette presse! Que de mal on en dit! Il est certain que depuis ne trentaine d’année elle évolue avec une rapidité extrême. Les changements sont complets et formidables. C’est l’information, qui peu à peu, en s’étalant a transformé le journalisme, tué les grands articles de discussion, tué la critique littéraire, donné chaque jour plus de place aux dépêches, aux nouvelles grandes et petites, aux procès-verbaux des reporters et des intervieweurs. Il s’agit d’être renseigné tout de suite.

    Est-ce le journal qui a éveillé dans le public cette curiosité croissante? Est-ce le public qui exige du journal cette indiscrétion de plus en plus prompte?

    Le fait est qu’ils s’enfièvrent l’un l’autre, que la soif de l’un s’exaspère à mesure que l’autre s’efforce, dans son intérêt, de la contenter. C’est alors que, devant cette exaltation de la vie publique, on se demande s’il y a un bien ou un mal. Beaucoup s’inquiètent – tous les hommes de cinquante ans regrettent l’ancienne presse, plus lente et plus mesurée- et on condamne la presse actuelle.

    Mon inquiétude unique devant le journalisme actuel, c’est l’état de surexcitation nerveuse dans lequel il tient la nation. Aujourd’hui remarquez quelle importance démesurée prend le moindre fait, des centaines de journaux le publient à la fois, le commentent, l’amplifient et souvent, pendant une semaine, il n’est pas question d’autre chose. Ce sont chaque matin de nouveaux détails. Les colonnes s’emplissent. Chaque feuille tâche de pousser au tirage en satisfaisant davantage la curiosité de ses lecteurs. Une secousse continuelle se propage d’un bout à l’autre dans le public.  (…) Quand une affaire est finie, une autre commence. Les journaux ne cessent de vivre dans cette existence de casse-cou. Si les sujets d’émotion manquent, ils en inventent. Jadis, les faits, même les plus graves, parce qu’ils étaient moins répandus et moins commentés, ne donnaient pas à chaque fois ces accès violents de fièvre au pays. Ce régime de secousses incessantes me paraît mauvais »

    Le journalisme en question ?Informer bien au lieu d’informer vite. Dans l’éditorial de Combat, le 1er septembre 1944, Albert Camus a fait écho à Emile Zola en répondant à la question: Qu’est-ce qu’un journaliste ? « C’est un homme qui d’abord est censé avoir des idées. C’est ensuite un historien au jour le jour, et son premier souci doit être de vérité. Peut-on dire aujourd’hui que notre presse ne se soucie que de vérité ? Comme il est difficile de toujours être le premier, on se précipite sur le détail que l’on croit pittoresque ; on fait appel à l’esprit de facilité et à la sensiblerie du public. On crie avec le lecteur, on cherche à lui plaire quand il faudrait seulement l’éclairer. A vrai dire on donne toutes les preuves qu’on le méprise. L’argument de défense est bien connu : on nous dit, « c’est cela que veut le public ! ». Non, le public ne veut pas cela ; on lui a appris pendant vingt ans à le vouloir, ce qui n’est pas la même chose. [De nos jours] une occasion unique nous est offerte au contraire de créer un esprit public et de l’élever à la hauteur du pays lui-même. »

    C’était la fin du 19ème siècle, puis le milieu du 20ème et nous sommes au 21ème.  L’évolution décrite a suivi son cours avec la modernisation des outils de communication. La presse fait des copier-coller des dépêches de l’AFP et ont recours à d’es agences de presse. On balance souvent l’info sans trop de précaution. Les renseignements donnés sont incomplets et une information parcellaire peut s’avérer mal interprétée.

    Ce que disaient Zola et Camus est toujours d’actualité : le journalisme actuel maintient la nation dans un état de surexcitation nerveuse. La presse télévisée y contribue plus que la presse écrite car elle utilise le choc des images et les commentaires à chaud. Lorsqu’un drame se produit, une équipe est sur les lieux, les flashes spéciaux se multiplient lorsque le direct n’est pas assuré en continu avec des experts qui se succèdent. La tension monte au fil des élucubrations qui meublent le temps lorsque rien de visuel ne se produit. Voilà qu’une chaîne tient quelques images racoleuses, elles sont passées en boucle et reprises sur les autres antennes. Les faits divers de préférence criminels et les catastrophes occupent le plus souvent toutes les Unes. En son temps Charles Baudelaire l’avait déjà constaté : « Tout journal, de la première ligne à la dernière, n’est qu’un tissu d’horreurs, Guerres, crimes, vols, impudicité, tortures, crimes de princes, crimes de nations, crimes des particuliers, une ivresse d’atrocité universelle ».  Le journalisme catapulte toujours les haines et favorise les fractures sociales. De nos jours, il s’intéresse davantage à la vie privée des politiciens, à contribuer au story-telling qu’à leurs turpitudes. Les journalistes racontent des histoires au lieu d’informer. Le public est promené entre le journalisme des haines et la presse-people. C’est le romanesque et le sordide qui décide de l’actualité.

    Le journalisme en question ?Force est de constater que la grande presse ne remplit qu’une partie de sa mission et souvent elle le fait mal. Elle informe dans l’urgence, sans recul et sans les explications suffisantes. Elle ne remplit plus son rôle d’analyste des événements et, lorsqu’elle s’attarde sur un sujet, on ne peut pas dire que les commentateurs et les experts fassent preuve d’une grande objectivité. La propagande a pris le pas sur l’objectivité. Par exemple, lorsqu’il y a un sujet économique, on aura recours le plus souvent à un sachant orthodoxe pour qu’il ne s’éloigne pas de la ligne libérale. Les journalistes ne sont pas libres car, en France, cinq grands journaux sur sept appartiennent aux plus grandes fortunes. Les journalistes n’y disposent d’aucune indépendance vis-à-vis des puissances de l’argent.

    Cinq des sept quotidiens nationaux sont la propriété de quatre des dix plus grandes fortunes du pays : la première (Bernard Arnault) contrôle les Échos et le Parisien, la cinquième (Serge Dassault), le Figaro, la sixième (Patrick Drahi), Libération, la dixième (Didier Niel), le Monde ; seuls la Croix et l’Humanité sont indépendants des milieux industriels et financiers. Le constat ne s’arrête pas aux quotidiens nationaux ; l’audiovisuel privé (chaînes de télévision et de radio), la presse magazine et la presse spécialisée sont contrôlés par des conglomérats industriels ; la presse régionale est, elle, sous l’étroite dépendance des banques, le Crédit mutuel et le Crédit agricole essentiellement.

    Le journalisme en question ?Sur le petit écran, le baromètre des JT, c’est l’audimat. Il faut des présentateurs vedettes et donner au public ce qu’il veut. Les faits divers occupent plus de place que les informations politiques ou géopolitiques. Le journalisme politique est le plus souvent un journalisme d’opinion et non pas un journalisme critique, quand il n’est pas un journalisme de propagande.   

    En dehors de la presse officielle, l’Internet a permis le développement de réseaux sociaux, de blogs et de sites. Chacun peut jouer les journalistes et diffuser des informations sans qu’elles soient toutes fiables. Malheureusement les informations les plus regardées sont des vidéos et autres images. La masse des fausses informations et des hoaxs ne pousse pas à la confiance et la crédulité favorise la malveillance. Dans cette désinformation pernicieuse, les réseaux de droite et d’extrême-droite prennent une grande part.

    Cependant, l’Internet a permis aussi le développement d’une presse indépendante comme le journal en ligne Médiapart pour citer le plus connu. Son fondateur Edwy Plenel a confié au Nouvel Observateur ce qu’il a retenu du journalisme décrit par Camus qu’il doit élever ce pays en élevant son langage » et que « Le droit à l’information n’est pas un privilège des journalistes, c’est un droit des citoyens ». Camus était un journaliste de Combat, intransigeant sur son indépendance, en rupture avec les puissances d’argent pour éviter les ambiguïtés et la corruption dans un système capitaliste. Le journaliste doit être dans une opposition radicale avec  des politiciens qui abaissent le pays en abaissant son langage. L’indépendance de la presse est souvent battue en brèche par des liens incestueux avec les puissances de l’argent qui ont d’autres intérêts que l’information. Le journaliste Edwy Plenel dit de son métier : « La seule vision juste de notre profession, hier comme aujourd’hui, est une vision idéaliste. Le journalisme n’existe que parce qu’il une légitimité démocratique. Notre rôle c’est de permettre aux citoyens d’être informés pour décider, pour choisir, pour agir. Et donc, c’est un idéal démocratique. Toute vision cynique, pragmatique, opportuniste du journalisme trahit le métier lui-même, parce qu’il a d’abord une source démocratique qui nous dépasse, qui nous réclame ». Force est de constater que des affaires politico-judiciaires suivies par des journalistes de Médiapart ont très peu d’échos dans le reste de la presse.

    Le journaliste doit dire ce que les pouvoirs veulent cacher et même ce que le public n’a pas envie d’entendre ou de lire. Il doit oser apporter des « nouvelles » et un éclairage qui vont faire évoluer l’opinion public, faire bouger les lignes et non pas l’installer confortablement dans  la pensée unique de l’Establishment. C’est le sens de ce qu’a écrit Albert Camus.

    L’indépendance professionnelle passant par l’indépendance matérielle, le métier de journalisme n’offre aucune garantie de l’emploi en dehors des CDI que quelques uns ont la chance de décrocher. Nombre de journalistes travaillent à la pige et dans la précarité que la  loi El Khomri va aggraver. La presse n’est pas une activité rentable puisqu’elle est subventionnée. En outre, des journalistes bien nés (on peut dire métaphoriquement et plus crûment : « nés le cul dans le gâteau ») occupent les bonnes places et n’ont aucun état d’âme à être les chiens de garde du libéralisme économique et des nantis dont ils font partie.  

    Un jeune journaliste, qui n’a pas ses entrées dans un grand journal ( une particule patrimoniale serait même élémentaire pour quelques patrons de presse), une radio ou une chaîne de télévision, devra faire des piges pour des agences de presse ou éventuellement se tourner vers le journalisme publicitaire pour la revue d’une grande marque ou toute autre édition chargée d’une promotion commerciale. C’est du journalisme alimentaire. Le journalisme politique est un pré gardé. On connaît même des couples célèbres « journaliste avec politicien ». D’autres élus ont leurs journalistes préféré(e)s, sans aller jusqu’à l’accouplement. Tout cela ne va pas dans le sens indiqué par Albert Camus et Edwy Plenel.

    C’est le journalisme actuel, héritier d’un système médiatique réactionnaire en place depuis des décennies, que nous critiquons. C’est aussi ces crimes jetés en pâture comme jadis on montrait des jeux de cirque pour distraire le peuple de sa misère. La mort est donnée en spectacle. Les cours d’assises sont des théâtres où se jouent des polars. A la télé, les émissions sur le travail des policiers se multiplient. C’est vendeur même si les délinquants peuvent y voir un cours de formation. Et puis nous assistons de plus en plus à la peopolisation de la politique parce que les politiciens ont besoin de se mettre en scène et parce que la presse people est rentable.

    Chez les journalistes, il existe fort heureusement encore des esprits libres. Certains ouvrent des pages sur le Net. On en trouve chez Médiapart ou, par exemple, sur AgoraVox. Vous en connaissez certainement d’autres. Quelques journaux nationaux (deux sur sept) ou régionaux ont su, pour l’instant, échapper aux patrons du CAC 40. Par contre le journalistes-écrivains comme Emile Zola sont beaucoup plus rares et peu sollicités.  Des journalistes écrivent des livres qui ont vocation à être des best-sellers mais l’on y trouve le plus souvent que des anecdotes et des rumeurs. C’est racoleur mais le plus souvent pas ou peu instructif. On trouve cependant parfois des retours sur des informations politiques ou judiciaires qui viennent compléter des dossiers clos. On s’interroge alors sur la non-divulgation de ces informations en temps et en heure.

    Le journalisme en question ?On ne dénonce jamais assez ces grands journaux subventionnés qui titrent régulièrement sur les « assistés sociaux » et participent au bashing des fonctionnaires. Les rédacteurs et journalistes de cette presse d’opinion libérale occultent qu’ils sont eux-mêmes des assistés et qu’ils sont payés non par leurs patrons mais par les contribuables. Ce sont des grandes fortunes qui possèdent cinq grands journaux sur sept. Pourtant, les contribuables les finances pour faire du journalisme un bisness et un outil de leur pouvoir. Si, demain, l’Etat coupe les subventions, les grands journaux pourraient bien mettre la clé sous la porte. Le journalisme est ainsi pris en otage entre le pouvoir politique et le pouvoir de l’argent. C’est la raison pour laquelle il faut soutenir les journalistes indépendants qui écrivent dans des petits journaux locaux, dans les deux grands journaux qui ne sont pas entre les mains des patrons du CAC 40 et sur le Toile. Il existe des journaux en ligne comme Médiapart, Regards et Bakchich pour donner des exemples derrière lesquels travaillent de vrais journalistes. Il existe aussi des blogs et des sites politiques ou syndicaux.

    Notre actualité sociale est l’exemple de la façon dont la presse traite un sujet majeur : la contestation de la loi El Khomri. Cette presse réactionnaire met ses projecteurs sur les casseurs tout en continuant à faire sa propagande libérale sur les bienfaits de la déréglementation du Travail. Elle ne diffuse des violences policières que lorsque des images envahissent les réseaux sociaux et n’en parle que rapidement, préférant consacrer son temps aux « casseurs ». Il est étonnant qu’aucune caméra ou appareil photographique de cette presse ne rapporte des images de ces violences policières et de la façon dont sont gérées les manifestations. On ne voit que des images de smart-phones prises par des manifestants ou des badauds. Les critiques ne vont que vers les organisateurs et les manifestants.

    En ce qui concerne l’actualité politique, les chiens de garde de cette presse réactionnaire ménagent prudemment Sarkozy et Hollande, préférant continuer la diabolisation de Jean-Luc Mélenchon présenté comme un populiste, un marxiste primaire par des gens qui n’ont certainement jamais lu ne serait-ce que le Capital. Ils stigmatisent le NPA et Lutte Ouvrière comme des partis extrémistes parce qu’ils sont radicalement anticapitalistes. BFMTV a fait venir Olivier Besancenot chez Apolline de Malherbe pour qu’elle lui fasse condamner ou approuver les casseurs, mettant de côté la raison des manifestations et les violences policières. Lorsqu’Apolline de Malherbe élève son langage, on entend ça… 

     

    La stratégie est de diaboliser l’opposition de gauche et de faire de l’extrême-droite un allié possible de la droite, à condition que le FN ne prenne pas trop d’ampleur.  Après l’avoir dédiabolisé, les chiens de garde  sont obligés de le montrer davantage sous son vrai jour (non trop, donc pas assez) de peur de voir Marine Le Pen élue Président d’une république malade. Jean-Marie Le Pen leur en a encore donné l’occasion le Premier Mai dernier et, sur BFTV, Apolline était encore à la manœuvre en recevant le compagnon de la candidate bleu marine qui boude la presse.  

    Par-dessus tout et plus que jamais, il convient de garder son esprit critique, de vérifier les informations reçues et de penser par soi-même en remettant en cause les opinions toutes faites, fournies par les chaînes de télévision et les radios. La presse écrite est en perte de lecteurs (à qui la faute ?). C’est une presse d’opinion qui n’offre aucune garantie d’objectivité. C’est sa pluralité qui est encore utile, en privilégiant les journaux qui ont gardé une indépendance vis-à-vis des puissances de l’argent et de l’Etat. Ils avancent à visage découvert, alors que l’hypocrisie et le cynisme prédominent ailleurs.

     

    U barbutu

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