• Les diableries humaines

    colombe_picasso

     

    Il n’y a pas eu d’autres têtes d’Occidentaux coupées jusqu’à présent et le Moyen-Orient reste dans une inextricable situation. Les seules annonces faites sont que les bombardements continuent et que la France y prend part. Cela lui permet aussi de montrer l’efficacité de ses avions bombardiers et d’obtenir des intentions d’achats. Comment ne pas se sentir désorienté par la façon de traiter médiatiquement les conflits du Moyen-Orient où un jour c’est la tragédie, la barbarie et le lendemain silence radio.   

    Si on revient un peu sur ce que l’on nomme Daech, ou EIIL ou Etat Islamique en Irak et au Levant, on perd facilement le fil d’une géopolitique cacophonique.

    D’abord il y a le jeu trouble de la Turquie.  Le 11 juin 2014, les troupes de l’état Islamique en Irak et au Levant (EIIL) enlèvent 79 citoyens turcs parmi lesquels le consul de Turquie à Mossoul, des membres des forces spéciales et trois enfants. Une semaine plus tard, le mercredi 18 juin, on apprend qu’un des chefs de l’EIIL, Abu Muhammad, est soigné dans l’hôpital d’état de Hatay, en Turquie et que le ministre de l’Intérieur turc Muammer Güler avait donné l’ordre aux autorités d’Hatay d’héberger et d’assister les membres du groupe terroriste opérant dans cette province. Le gouvernement Erdogan dément tout cela comme il dément abriter sur son sol les extrémistes d’Al-Nosra, lesquels ont traversé sa frontière pour envahir Kessab, ville syrienne ha bitée en majorité par des Arméniens.  Des membres de l’opposition turque ont produit pourtant des photos et des preuves. La Turquie aurait-elle été victime des rebelles de l’EIIL qu’elle protégeait ? Le pouvoir à Bagdad est à son tour menacé par ces mêmes troupes à qui l’Etat turc laissait le libre passage de sa frontière, pendant que les Kurdes d’Irak, voyant Mossoul envahi, en profitaient pour intégrer Kirkouk à leur pré carré. En Irak, les Kurdes et Bagdad ont le même ennemi mais ne sont pas pour autant alliés.

    La Turquie protégeait Al-Nosra au même moment où elle classait ce groupe comme terroriste et lié à Al-Qaïda, l’Iran a envoyé le Hezbollah soutenir Bachar en Syrie, puis les chiites irakiens contre l’EIIL, pendant que l’Arabie Saoudite et le Qatar financent le tout, tout en demandant la protection des Américains qui combattent ceux qu’ils soutiennent. En 2003, les Etats-Unis avaient promis  la démocratie dans la région. On en connaît le résultat. L’élimination de Kadhafi, de Saddam Hussein et la déstabilisation de Bachar Al-Assad sont-elles à l’origine du problème créé. Du simple point de vue comptable, les tyrannies apparaissent moins sanglantes que les guerres dites de libération. Le nombre des exactions et des morts ne cessent d’augmenter

    Néanmoins, ce que retiendra l’histoire de ce conflit est l’étonnante passivité, voire inexistence des Occidentaux dans la solution d’un problème créé d’abord par l’élimination de Saddam Hussein (dont la dictature a, sans doute, fait moins de mort que la « démocratie » qui lui a succédé), ensuite par la déstabilisation de Bachar Al-Assad (dont la répression a sans doute coûté moins de victimes dans le peuple syrien que celles occasionnées par ses libérateurs). À croire que, du simple point de vue comptable, les tyrannies sont moins sanglantes que les guerres dites de libération. Le nombre de morts ne cesse de croître. Comme réponse à cette tragédie qui n’en finit pas, l’occident fait preuve de la force d’inertie régulièrement interrompue par des frappes aériennes censées maintenir le moral des bons et saper celui des méchants.  

    En juin dernier, Anders Fogh Rasmussen, secrétaire général de l’OTAN, déclarait en Espagne que « l’OTAN ne s’ingérerait pas dans la situation en Irak ». Si l’Otan ne joue aucun rôle, les Etats-Unis ont pris la tête d’une coalition pour le  moment aérienne. Par ailleurs, dans ces guerres entre bons et méchants, les bons sont armés et aidés techniquement.  Personne n’est commissionné par l’OTAN. ET puis il y a le groupe hors-OTAN : la Chine, la Russie et l’Iran.

    L’Iran serait une des cibles indirectes du conflit, car affaiblir la Syrie et l’Iran chiite ne vise à rien d’autre qu’à affaiblir Téhéran, tout comme le conflit ukrainien vise à affaiblir la Russie. Une initiative isolée russo-perse aurait ainsi peu de chance d’aboutir.  Poutine et Rohani ne sont pas près de s’asseoir à la même table qu’Obama, Merkel, Cameron et Hollande, tant que le différent ukrainien n’est pas résolu tout comme celui des menaces sur le nucléaire iranien.

    La Turquie rêvait d’étendre son califat à Damas. Elle avait mis le doigt dans un engrenage dangereux et, comme à son habitude, pratique ensuite une diplomatie à vue et craint autant les Kurdes turcs autonomistes que les djihadistes envahisseurs.  Quant à la Chine, elle reste l’alliée intéressée de la Russie et de l’Iran car elle lorgne depuis des lustres sur les gaz russe et iranien.  L’Arabie Saoudite et le Qatar restent les financiers des groupes rebelles, ne serait-ce que pour les tenir éloignés de chez eux  et éviter qu’ils ne retournent leurs armes contre ceux qui les ont payés. Mieux vaut pour eux que les libérateurs de l’Islam restent le plus loin possible du berceau du Prophète.

    Il faut être naïf pour penser que tous les pays qui interviennent au Moyen-Orient le font au nom de l’idéal démocratique et de la liberté des peuples. Nous ne parlons même pas de l’ONU où les forces contraires s’annulent. Qui pourrait influer sur le cours de cette guerre au Moyen-Orient ? Qui pourrait réussir à mettre d’accord ce que l’on appelle la « communauté internationale ». Il n’existe que des communautés d’intérêts. Le Moyen-Orient est le champ de bataille des conflits d’intérêts. 

    En France, la question qui revient le plus sur ce conflit, c’est celle des djihadistes français. Le Ministre de l’Intérieur, le Premier Ministre et même le Président de la république répètent les mêmes informations. Ils seraient un millier, une cinquantaine sont morts, certains reviennent et font l’objet de poursuites judiciaires, d’autres se renseignent pour connaître les conditions de leur retour… Le conflit au Moyen-Orient est passé au second plan. Peu importe la tragédie que vivent encore les Irakiens et les Syriens. La peur est que la barbarie s’exporte en France.

    On ne sait plus grand-chose sur ce qui se passe en Syrie et en Irak. On a l’impression que tout est figé. Finalement la force d’inertie reste celle des diplomaties. Lorsque les diplomates s’agitent, c’est pour faire croire que les choses bougent mais ce ne sont que des gesticulations. Les journalistes sont cruellement absents sur le terrain. Les grandes puissances peuvent fabriquer des vérités simples et laisser dans l’ombre cette géopolitique cynique et hypocrite dans laquelle se trouvent les causes de tous les conflits.

    On rappelle souvent la citation déformée d’André Malraux « Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas » alors qu’il a employé le qualificatif « mystique » ou « spirituel », ce qui n’est pas la même chose. On n’est même pas sûr qu’il ait dit cela. Vraie ou fausse citation, les uns croient qu'elle est en train de se réaliser — pour le meilleur ou pour le pire —, d'autres espèrent qu'elle se réalisera au fil des années, d'autres encore craignent qu'elle ne se réalise, étant donné les désastres dont la religion porte au moins en partie la responsabilité. Si notre siècle est religieux, on se demande, comme Goetz dans ‘Le diable et le Bon dieu » écrit par Jean-Paul Sartre si « Dieu a voulu que le bien fût impossible sur terre ? Tout le monde fait le mal … Et personne n'a jamais fait le bien ? Personne ». On peut se poser toutes les questions. Qui manipulent les intégristes et les ultranationalistes ? Pourquoi les conflits éclatent-ils dans des pays ayant des ressources énergétiques  ou d’autres richesses?  Quels états financent les mouvements terroristes ? Quels états les arment ? Si on veut faire référence aux religions, nous dirons que les guerres sont des diableries humaines et que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Le capitalisme a sa religion « le libéralisme » et son dieu « l’argent ».

    Le fanatisme n’éveille pas, il brutifie. Il est une manipulation des esprits et les manipulateurs ne sont pas tous des abrutis fanatiques. L’histoire démontre que des mouvements terroristes ont été utilisés notamment pendant la période de la « guerre froide ». L’exemple de l’Afghanistan est le plus significatif puisque plus personne n’ignore que Ben Laden fut une invention américaine contre l’occupation russe.

    Que vient faire la France dans tous ces conflits. En Lybie, Sarkozy a fourni des armes et un appui aérien à la rébellion conjointement avec les Américains et les Anglais. Il a obtenu un large soutien de la classe politique. Ensuite, des intégristes de cette rébellion ont voulu soumettre le Mali avec des armes françaises et américaines. Kadhafi a été liquidé sans que la coalition empêche son lynchage. Qu’apprend-on ? Notre ancien président est soupçonné d’avoir été financièrement aidé dans sa campagne de 2007 par le même Kadhafi reçu en grandes pompes à l’Elysée pour être un dictateur à combattre, ce qu’il n’a jamais cessé d’être auparavant tout en restant longtemps un chef d’Etat fréquentable.  François Hollande a failli tomber dans le piège syrien contre Bachar Al-Assad en voulant armer la rébellion, c’est-à-dire en fournissant des armes qui seraient tombées entre les mains des djihadistes d’al-Qaida et de Daech. Alors que nos dirigeants actuels dénoncent les massacres de son peuple par le dictateur syrien, nous avons pu noter la mollesse de prises de position pendant qu’Israël a bombardé et massacré des Palestiniens enfermés dans le parc humain qu’est Gaza… Et que dire d’Israël gouverné par des sionistes qui ne reconnaissent qu’un seul génocide : la shoah. Leur président avait promis de reconnaitre le génocide arménien avant de revenir sur sa promesse au gré des accords diplomatiques et commerciaux avec la Turquie, une Turquie au régime de plus en plus dictatorial et islamiste. Même l’écrivain  prix Nobel turc Orhan Pamuk le dénonçait encore récemment. 

    Nous voilà en guerre un peu de partout dans le monde. Nous continuons à jouer le gendarme en Afrique pour y maintenir notre présence néocoloniale, même si notre action a une apparence humanitaire. Bien sûr nous sommes toujours censés être du côté des gentils. Le problème, c’est que, dans la réalité, ce sont toujours les peuples qui sont les victimes et, lorsque nous aidons des mouvements de libération, ce sont les démocrates qui sont emprisonnés et massacrés. Nos dirigeants continuent à fréquenter des dictateurs. Alors, on peut penser que les guerres de religion, les pogroms ethniques, les revendications ultranationalistes, les mouvements terroristes sont les avatars de la géopolitique des puissants en quête de sources d’énergie, mais aussi pour vendre des armes et affaiblir les puissances non occidentales. On est toujours dans une guerre froide larvée avec d’un côté les pays de l’Otan et de l’autre le reste du monde dont font partie la Russie, l’Iran et la Chine. On voit bien qu’en ce qui concerne l’Ukraine et la Syrie, il y a bien deux camps opposés, toujours les mêmes.

    Hier c’était Al Qaida, aujourd’hui c’est Daech… Peut-on parler de siècle religieux alors qu’un grande partie de l’Oumma récuse ces terroristes salafistes, croît en l’Islam de paix, accepte la laïcité et ne voit pas les non-musulmans comme des infidèles à convertir ou à massacrer ? Peut-on parler de siècle religieux, uniquement parce que des intégristes font de la provocation vestimentaire et verbale en France? Peut-on parler de siècle religieux parce que la droite réactionnaire et catholique est descendue dans la rue contre le mariage pour tous ? Peut-on parler de siècle religieux parce que des crèches sont installées dans des lieux publics à Noël ?

    On sait que les puissants veulent faire de ce siècle, celui d’un capitalisme sauvage et tous les mauvais coups sont permis. La doxa néolibérale impose sa propagande. La mondialisation jette des peuples dans la misère et la guerre. C’est un constat. Elle génère des monstres et le XXIème siècle ne sera ni religieux ni mystique ni spirituel mais archaïque avec la montée de l’extrême-droite, de l’Ultranationalisme et des intégrismes religieux ou laïques si la doxa néolibérale internationale continue à avoir pour principaux adversaires à abattre la démocratie, le pacifisme et le socialisme. Le capitalisme a besoin des guerres, des dictatures, des nationalismes et des intégrismes. Le socialisme a besoin de démocratie et de paix, sans s’inventer des croisades et des ennemis intérieurs.

     Fucone  

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