• Où en est le transport maritime entre la Corse et le continent ?

    Où en est le transport maritime entre la Corse et le continent ?

    3 questions sur la Corsicalinea

     A quelques jours des fêtes de fin d'année nous avons rencontré Fred Alpozzo, secrétaire général du syndicat des marins Cgt de Marseille. Nous lui avons posé trois questions sur le devenir de la nouvelle compagnie et les propositions de son syndicat pour trouver enfin une solution pérenne dans l'intérêt bien compris des salariés de la compagnie qu'ils soient à Marseille ou en Corse, et des régions Corse et Paca.

    Manca alternativa. Le rouge a remplacé le bleu sur les navires de la Corsicalinea. Le « Jean Nicoli » en rouge ! Une couleur chère à l’ancien résistant communiste, lâchement torturé et assassiné par les fascistes à quelques semaines de la libération de la Corse. La comparaison s’arrête là. Donc, nous avons une nouvelle compagnie 100% privée. Nous aimerions en savoir un peu plus sur cette dernière, sur ses actionnaires, sur la flotte mise à disposition, sur ses projets de développement, sur la garantie de l’emploi des salariés. Avez-vous des éléments de réponse qui pourraient nous éclairer ?

    Fred Alpozzo. La Corsica linea est le nom commercial de la nouvelle compagnie M.C.M créée par la reprise partielle de la SNCM suite à la procédure de redressement judiciaire et au jugement du tribunal de commerce de Marseille. Il faut d’abord rappeler les faits : Ce sont les actionnaires dirigés par l’État (L’État et Transdev avec la Caisse des dépôts comme actionnaire majoritaire sous le contrôle de l’Assemblée Nationale) qui ont fait le choix de propulser la SNCM au tribunal de commerce et de licencier 600 personnes avec plusieurs centaines d’emplois perdus malgré les engagements signés du Gouvernement d’un plan de relance avec 4 navires neufs à construire aux chantiers navals de Saint NAZAIRE, et une nouvelle réglementation qui fasse enfin appliquer et respecter le droit français dans tous les domaines et notamment sur le plan social, à toutes les compagnies opérant en lignes régulières entre la Corse et le continent..

    Le choix politique final, illégal et antirépublicain, confirme ainsi la libéralisation du secteur et l’abandon de toute politique d’emploi et industrielle pour la filière maritime avec le désengagement de l’État, du Service public de continuité territoriale et d’une politique de coopération en Méditerranée avec les pays du Maghreb dont nous aurions pourtant bien besoin dans tous les domaines.

    La reprise partielle de la SNCM a donc été remportée par Patrick ROCCA sur la base d’une flotte à 6 navires et près de 900 salariés fondés sur l’exploitation des deux réseaux de lignes, du Service Public de continuité territoriale avec la Corse, et du Maghreb avec l’Algérie et la Tunisie. C’est le fruit du travail et de la lutte syndicale de la CGT avec les salariés de la SNCM, sinon c’était la liquidation et 2000 licenciements et la fin de la plupart des contrats CDD présents depuis de nombreuses années.

    Mais les ententes politiques et financières qui sont la règle dans ce dossier, ont rebattu les cartes avec une nouvelle concurrence déloyale ubuesque de Corsica Maritima avec le Cargo Stena Carrier qui a navigué sous pavillon de complaisance entre Marseille et Bastia quelques mois après une grève de 8 jours et une procédure remportée par le Comité d’Entreprise sous l’impulsion des élus CGT. Il est difficile de résumer une telle situation pour le grand public mais pour essayer de simplifier, aujourd’hui Corsica Maritima a absorbé les parts de Rocca et tente de modifier le plan d’Entreprise en lien avec les autres opérateurs maritimes et la C.T.C. On est loin de l’entrepreneur qui défend son entreprise et d’une politique sans clientélisme…. Le Comité d’Entreprise a de nouveau engagé une procédure pour s’opposer à ce changement de contrôle de la société en raison du changement du Plan d’entreprise à 6 navires et 900 emplois.

    Sur les garanties des salariés, les accords ont été signés sous les préavis de grève déposé par la CGT fin juin en concordance avec les journées d’action contre la loi dite « Travail ». On aurait préféré un autre dialogue social.

    Pour le futur, il est clair que nous ne disposons aujourd’hui que d’un sursis avec une DSP transitoire. D’un côté la nouvelle organisation et les moyens attribués au futur Service Public de continuité territoriale revus à la baisse, et de l’autre l’absence de volonté délibérée de la direction d’améliorer et de développer les lignes régulières avec le Maghreb qui contribuent pourtant aussi au service à passagers sur la Corse, laissent présager de nouveaux bouleversements avec de nouveaux plans sociaux.

    Je rappelle aussi que si nous avons défendu un projet d’entreprise devant tous les candidats repreneurs sans en choisir aucun, nous avons aussi sollicité les élus et dirigeants de la CTC avant ceux de PACA, afin que la SNCM soit reprise publiquement et durablement sur une base encore plus élevée en matière sociale et industrielle avec un  projet économique viable.

    Les élus locaux ont fait le choix pour la plupart d’accompagner la mort de la SNCM en versant des larmes de crocodiles et le précédent exécutif radical-socialiste a même aidé à la tuer. Seuls les élus communistes emmenés par Michel STEFANI, à qui je tiens à rendre hommage publiquement pour son travail dans l’intérêt des salariés et de l’emploi comme dans l’intérêt général, ont déposé concrètement une délibération à l’Assemblée de corse en 2015 pour  que la CTC se porte candidate à la reprise de la SNCM dans le cadre d’une S.E.M.  Cette motion prioritaire a été rejetée par tous les autres élus…

    Manca alternativa. Que pensez-vous du projet de compagnie régionale qui semble avoir les faveurs de la Collectivité territoriale et du STC ? Est-ce un projet fiable ?

    Fred Alpozzo. Ce n’est pas la création d’une véritable compagnie régionale comme on le connaît dans l’aérien ou le ferroviaire avec leur S.E.M.  qui ont modifié le capital des compagnies existantes et où la C.T.C est majoritaire. Tout d’abord il faut comprendre que le capital est certes important mais ne permet pas de régler les vrais problèmes qui sont la cause des pertes d’emplois et de la dégradation du Service Public en termes de tarifs comme de qualité. L’ouverture à la concurrence et dans des conditions déloyales déséquilibrent les entreprises historiques du Service Public, et les difficultés économiques alors rencontrées engendrent les plans sociaux et les privatisations qui sont la conséquence des choix libéraux des élus au plan national et local avant tout. Il n’y a aucun fondement juridique et politique à se retrancher derrière l’Europe dont les textes permettent à peu près tout, encore faudrait il avoir la volonté de faire autre chose que libéraliser, ce que peu d’élus veulent  en réalité.

    Le rail n’a pas de concurrence comme l’aérien n’en a pas sur le « bord à bord » et c’est tant mieux, il faudrait d’ailleurs, selon moi, faire la même chose dans l’aérien entre Paris et la Corse à partir du moment où il y a un Service Public, l’opérateur retenu ne devrait pas être concurrencé après l’attribution de l’appel d’offres. A contrario, sur le transport maritime qui a toujours été le moyen de transport en proie à toutes les libéralisations avant les autres, la dérèglementation française sur le cabotage maritime national a autorisé Corsica Ferries a navigué en parallèle sous pavillon international italien équivalent au R.I.F alors que ce pavillon français est interdit sur les lignes régulières françaises et intra-communautaires à passagers. La C.T.C pour sa part a supprimé en 1996 mais surtout 2001 la durée et le périmètre de la convention de Délégation de Service Public qui s’est ainsi limité à Marseille et la Corse pour en exclure Toulon et Nice. Le comble aura été de financer les compagnies en dehors de la D.S.P avec le régime d’aides sociales pour plus de 200 Millions d’euros versés à Corsica Ferries sur 10 ans, sans compter les aides de l’État italien qu’elle a touché et touche encore. Seule la CGT a déposé plainte au pénal comme auprès de l’Union Européenne sans que cela ne soit suivi d’effets. C’est dire le niveau d’influences et de corruption entre le pouvoir politique et la justice.

    Mise en concurrence déloyale pendant l’exploitation, casse artificielle des prix, emplois précaires et utilisation frauduleuse de travailleurs détaches, évasion fiscale, fraude fiscale et financements publics ! Prenez ce cocktail détonant et vous comprendrez mieux comment on détruit un Service Public et pourquoi la SNCM, comme MCM-Corsica Linea et la CMN demain, ne s’en sortiront pas mieux si les règles de droit ne sont pas appliquées et ne changent pas dans un cadre d’intérêt général, quel que soit leur capital.

    Venons en donc au futur dispositif dont on connaît les grandes lignes mais pas le contenu exact puisque les appels d’offres et les cahiers des charges ne sont toujours pas connus contrairement à ce qui était prévu... Il faut lire les délibérations et rapports officiels et écouter les débats de la C.T.C, tout comme ceux de l’Assemblée Nationale, pour bien comprendre ce qui se prépare qui n’est pas le plan fiable et la pérennité présentée.

    Nous venons de voir que les règles fixées par l’État et la C.T.C, sont bafoués en permanence et qu’elles sont insuffisantes, C’est notamment le cas en matière de tarifs pour interdire les pratiques de dumping ce qui serait pourtant une mesure des plus simple à prendre pour la C.T.C avec l’adoption de tarifs planchers fret et passagers. Les bénéfices ainsi engendrés grâce au transport de passagers qui ne seraient plus « siphonner » par la concurrence déloyale des « Low Cost » et leurs pratiques, permettraient ainsi aux  compagnies exploitantes du Service Public de proposer des tarifs garantis toute l’année et d’améliorer encore le service et ces prix pour les usagers avec une politique encore plus favorable à l’endroit des passagers à caractère sociaux et des résidents corses, ainsi que pour le transport de marchandises pour la population et les entrepreneurs.

    Ce contexte de dérèglementation fragilise les compagnies délégataires du Service Public qui opèrent au quotidien sur l’ensemble des ports corses, principaux et départementaux avec un haut niveau de services et de sécurité et d’importantes retombées économiques et sociales en Corse. Cela fragilise aussi le service public qui pourrait ainsi se réduire en cas de nouveau déficit économique des compagnies avec une augmentation des prix du transport.

    Dans ce contexte, le Président de l’Exécutif passé et le nouveau, ont obtenu de l’État avec ce gouvernement « socialiste », la déspécialisation de l’enveloppe de continuité territoriale qui pourra donc être utilisé à d’autres budgets que celui des transports maritime et aérien de continuité territoriale. Autre mesure significative, le montant attribué aux compagnies maritimes du futur Service Public organisé en  Délégation de Service Public au travers de SEMOP, est réduit de plus de 22 Millions d’euros à périmètre d’exploitation constant pour l’instant…

    Les SEMOP seront des sociétés dont le contenu exact n’est pas encore connu ce qui n’est d’ailleurs pas un hasard, le calendrier étant en réalité réglé comme une montre suisse en fonction des élections à venir.

    Ce qui est sur c’est que ce nouveau système d’apparence complexe, sépare les ports principaux des ports secondaires avec du ligne par ligne et permet de créer de nouvelles sociétés alors que deux compagnies de Service Public existent déjà, la Méridionale et la MCM-Corsica Linea.

    Pour la CGT Marins ce schéma est clair, il s’agit, avec la cession organisée des deux navires Monte d’Oro et Paglia Orba qui opèrent aujourd’hui sur les ports secondaires, de créer une compagnie régionale gérée par un autre privé que le Consortium sur ces ports, avec ces deux navires, seuls prévus d’être remplacés par la CTC dans les dix prochaines années.

    Les ports principaux gérés par le privé majoritaire au capital de la SEMOP qui ne contiendra pas les bateaux et le personnel, font l’objet d’une entente illicite entre les actionnaires de MCM Corsica Linea et CMN pour fusionner vers une nouvelle compagnie privée grâce à cette SEMOP sur les ports principaux. Toutes les activités de Corsica Linea hors DSP sur la Corse et le Maghreb seront arrêtées au profit de Corsica Ferries et d’autres armateurs, avec la vente des ferries ce qui permettrait de financer les investissements nécessaires à la flotte actuelle dont la CTC n’a pas les moyens de renouvellement avec le désengagement de l’Etat sur lequel les élus locaux sont d’accord.

    La véritable compagnie régionale serait alors limitée aux ports secondaires et à 2 petits navires, 3 tout au plus.

    Le reste serait ainsi réparti aux grands patrons et aux armateurs qui pourront boire le champagne au crépuscule du pavillon français de 1er registre et aux marins, officiers et sédentaires français qu’ils soient corses ou continentaux. La directive Bolkestein poursuivra son œuvre dans le monde réel grâce à nos élus avec son lot de dégâts humains, sociaux et économiques, écologiques et d’accidents. L’argent public pourra continuer à être détourné au profit d’intérêts particuliers, les plus puissants bien sur.

    Une fois que je vous ai exposé notre analyse de la situation, je me contenterai de vous dire que ce n’est pas parce qu’on est lucide qu’on est résigné et le combat pour la justice, l’emploi, le Service Public et l’intérêt général continue avec les salariés.

    Manca alternativa. Pour vous, quelle est la solution pour assurer enfin une véritable desserte entre la Corse et le continent et bien au-delà ? Une solution qui réponde à la fois au développement de la Corse et aux intérêts des salariés de la compagnie ?

    Fred Alpozzo. Nos solutions sont connues et ont fait l’objet de nombreux écrits pour une application globale qui régule et règlemente l’ensemble du dispositif du Service Public de continuité territoriale dans l’intérêt général. De plus nous pouvons affirmer que ces solutions sont possibles sur le plan juridique comme elles sont garantes de la viabilité économique du dispositif pour tous les acteurs concernés et une gestion saine et transparente de l’argent public.

    L’essentiel de nos propositions :

    Immatriculation des navires sous pavillon français 1er registre obligatoires sur les lignes régulières et contrats de travail de droit français obligatoires dans tous les cas, maintien de la dotation au niveau actuel, tarifs planchers sur toutes les lignes fixés sur les tarifs DSP établis par la CTC et l’OTC sur le fret comme les passagers (Tous les passagers) afin de supprimer les pratiques de dumping qui détruisent le Service Public; Entrée au capital des deux régions Corse et PACA qui n’ont jamais participé au capital des compagnies et peuvent donc agir ainsi en investisseurs avisés dans le respect du droit de l’Union Européenne ; Entrée de la CDC dans la société d’investissement pour le renouvellement des navires dont c’est le rôle industriel et territorial si les élus de la Corse le demandaient, Limitation de l’âge des navires sur toutes les lignes du Service Public de continuité territoriale pour toutes les compagnies avec respect des nouvelles normes obligatoires anti-pollution à compter de 2020, etc…

     

     

     

     

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