• Plaidoyer funèbre de la social-démocratie

    Plaidoyer funèbre de la social-démocratieUne oraison funèbre qui a tourné au plaidoyer pour lui-même. François Hollande a rendu un hommage très politique à Michel Rocard et c’est, non sans arrière pensée, qu’il a relevé l’usage de l’article 49.3 fait par l’ancien Premier ministre de François Mitterrand. Michel Rocard reste le recordman absolu en la matière: à 28 reprises, en 3 ans (mai 1988-mai 1991), il a engagé la responsabilité de son gouvernement. Ce qui représente un tiers des utilisations du 49.3 sous la Cinquième république. Il arrive largement devant Jacques Chirac et Edith Cresson qui y ont recouru huit fois lors de leurs passages à Matignon. Valls vient de l’utiliser pour la 5ème fois et ce n’est pas fini. Comme Manuel Valls aujourd’hui, à l’Assemblée élue en 1988, après la réélection de François Mitterrand à l’Elysée, le PS ne disposait que d’une majorité relative. Rocard utilisait donc le 49.3 pour faire passer ses textes tantôt en ralliant les communistes, tantôt en ralliant les centristes pour éviter la motion de censure. Une pratique qui a dû inspirer Manuel Valls, membre du cabinet de Michel Rocard lorsque ce dernier était à Matignon.

    L’article 49.3 aura été utilisé 86 fois depuis le début de la Cinquième république, pour un total de 51 textes (un même texte pouvant faire l’objet de plusieurs utilisations de cet article, comme c’est le cas avec la loi Macron et la loi El Khomri). Mais cela n’a entraîné que 51 motions de censure. Une seule motion a été adoptée : le 5 octobre 1962, renversant le premier gouvernement Pompidou à la suite de la décision du général de Gaulle d'instituer par la voie du référendum (procédure régie par l'article 11 de la Constitution) l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. L'Assemblée a été dissoute par le président. Pompidou a démissionné, puis a été renommé avec un majorité absolue issue de nouvelles élections. Voilà de quoi encourager  les gouvernements à recourir au 49.3.

    François Hollande a considéré que Michel Rocard avait réussi ainsi à faire passer des textes importants justifiant le recours à ce qu’il qualifiait pourtant jadis de « déni de justice » et de « brutalité » lorsque Dominique de Villepin y a eu recours. Le Chef de l’Etat utilise les obsèques de Rocard pour justifier le recours à l’article 49.3 et l’adoption de la loi Travail. L’oraison funèbre n’a été qu’une apologie de cette gauche réformiste que prétend incarner Hollande. Et puis, il enfonce le clou contre les frondeurs en disant que Michel Rocard n’a jamais joué contre sa famille politique. Ce sera repris par Manuel Valls au siège du parti socialiste où quelques militants ont pu revoir et écouter  le défunt sur un grand écran. Ainsi Rocard est montré en exemple aux frondeurs. C’est une façon détournée de les accuser de traîtrise pour les faire rentrer dans les rangs. Ils ont le droit de ne pas être d’accord avec Hollande et Valls mais ils doivent se taire.

    Bien sûr Michel Rocard ne pourra pas répondre à cette récupération politique ni se retourner dans sa tombe puisqu’il a été incinéré. Les dernières déclarations qu’il a faites ne vont pas dans le sens d’une approbation de la politique menée par Hollande et Valls.

    Depuis la crise financière de 2008, l'ancien Premier ministre, héraut de la « deuxième gauche », a plus d'une fois alerté ses pairs sur les dangers croissants d'une globalisation sans règles, d'un débat public réduit au spectacle, et d'une planète essorée par la cupidité des hommes.
    Il avait confié, au Journal Mariane, ses inquiétudes et le journal le rappelle dans un article du 3 juillet dernier.

    Plaidoyer funèbre de la social-démocratieDans une longue interview accordée au Point, il expliquait  à propos de Manuel Valls et d'Emmanuel Macron : « Ils n'ont pas eu la chance de connaître le socialisme des origines, qui avait une dimension internationale et portait un modèle de société. Jeune socialiste, je suis allé chez les partis suédois, néerlandais et allemand, pour voir comment ça marchait. Le pauvre Macron est ignorant de tout cela. La conscience de porter une histoire collective a disparu, or elle était notre ciment. Macron comme Valls ont été formés dans un parti amputé. Ils sont loin de l'Histoire ».

    Nous ne savons pas ce que diront les vrais amis de Michel Rocard de cette récupération de son passé politique pour justifier un tête-à-queue idéologique qui veut  tuer la gauche. De son vivant, Rocard avait souhaité cet hommage rendu aux Invalides. François Hollande n’a pas raté l’occasion de faire de la politique politicienne. En parlant de Michel Rocard, « homme d’audace et de compromis », il a voulu parler de lui-même. Son discours était un discours de campagne électorale. La presse a relaté que Michel Rocard avait réglé, par écrit, tous les détails de cet hommage qu’il souhaitait, sauf son oraison funèbre.  L’oraison a servi de plaidoyer pour un quinquennat qui se termine dans la trahison des valeurs de la gauche.

    En même temps que les obsèques de Michel Rocard, c’était aussi celles du Parti socialiste. Manuel Valls se considère comme l’héritier de cette « deuxième gauche » attribuée à Rocard, mais en la débarrassant du socialisme. Cela ne semble pas fidèle à la pensée de Rocard, ressemble davantage au détournement d’un concept politique et s’apparente métaphoriquement à un viol de sépulture idéologique. Manuel Valls a déclaré que « le rocardisme n’est la propriété de personne », tout en se l’appropriant. Ce que l’on a appelé le « rocardisme » est un courant politique post-soixante-huitard converti à la loi du marché. C’est une idéologie du siècle dernier. Rien d’innovant. Rien de moderne. Dans sa dernière interview (Le documentaire intitulé « Le tournant »  sortira en octobre en exclusivité sur Public Sénat.), début juillet 2016, Michel Rocard a critiqué François Hollande et le parti socialiste. Il a appelé le tournant mitterrandien de 1983  «le  tournant de la rigueur » en disant « on y est toujours . François Hollande a des tabous dans la tête ». Rocard militait pour une contre-stratégie sociale-démocrate, disait-il en ajoutant : « ...et ça, ce n’est pas non plus dans la tête de Hollande ». RIP Rocard. RIP le rocardisme qui est une idéologie sociale-démocrate du Vingtième siècle reprise dans ce qu’elle présente de plus libéral par des Valls et Macron. Honte à Hollande qui se sert d’une oraison funèbre comme tribune politique en vue de sa candidature à sa réélection. En période électorale, ce temps de parole devrait lui être décompté.

    Plaidoyer funèbre de la social-démocratieDe son côté, Manuel Valls vitupère et bombe le torse pour revendiquer une majorité relative qui est l’aveu des pertes depuis qu’il est à Matignon : les Duflot, Montebourg, Taubira, Hamon, Filippetti… et les frondeurs. Il compte sur le décès de Michel Rocard pour ressouder un parti que, avec Hollande et Cambadélis, ils se sont évertués à détruire et à détourner des valeurs de la gauche. Peut-être pensent-ils récupérer au centre et à droite, les électeurs qu’ils ont perdu à gauche. Ils n’ont pas encore réalisé que la loi El Kohmri sera le cercueil du parti socialiste dans lequel ils se sont enfermés. L'enterrement est prévu en 2017. 

    Paul Capibianchi

     

    Google Bookmarks

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :