L’information a ses légions de commentateurs et d’experts de tous poils.  Les vrais faux experts et les faux vrais experts défilent sur les chaînes de télévision pour  nous servir leur vraie fausse vérité et leur fausse vraie vérité. Ils sont omniprésents. . Ils expliquent comment gérer les conflits, comment  élever des enfants, comment se nourrir… Ils choisissent les livres à lire,   les produits à utiliser ou à éviter… Tout cela n’est pas très grave… le pire est lorsqu’ils nous dictent quoi penser de l’actualité. Ils expliquent le passé, commentent le  présent et prédisent l’avenir.  Toutefois la chute des cours de la bourse en 2008 nous a appris que nos experts de la finance et de l’économie n’ont rien vu venir. Cela ne les empêche pas de proposer leurs recettes à la crise. « Un économiste est un expert qui saura demain pourquoi ce qu'il avait prédit hier  ne s'est pas produit aujourd'hui », selon le principe de Laurence Peter.

Chaque commentateur a son aréopage d’experts. Certains se les partagent et on revoit les mêmes têtes revenir expliquer et réexpliquer l’actualité politique, économique, internationale…etc. il s’agit d’une forme de sous-traitance : les journalistes n’ont plus besoin d’étudier les sujets en profondeur. Ils s’en remettent à quelques experts inscrits dans leurs agendas.

Laurent Mauduit (Médiapart) a publié en 2012 un ouvrage intitulé  "Les imposteurs de l'économie". C’est un véritable réquisitoire pour la transparence. Il y pointe du doigt le curriculum vitae des experts en économie. On peut s’interroger sur le mythe de la "neutralité" des experts. La transparence du curriculum vitae de l'expert n’est pas toujours au rendez-vous, alors qu'elle permettrait au journaliste et à l'auditeur de mieux situer l'intervenant dans le cadre de ses éventuels engagements ou collaborations professionnelles. Cela permettrait de connaître quels lobbies se cachent éventuellement derrière tel expert ou tel autre expert.

On peut citer aussi l’ouvrage de Pascal Boniface « Les intellectuels faussaires : Le triomphe médiatique des experts en mensonge ». Le titre pose explicitement le point de vue sur le sujet. Avec leurs experts, les tenanciers de l’espace médiatique ont fabriqué un microcosme peu ouvert à de véritables débats et à un véritable pluralisme. Un constat qui tend à battre en brèche la vision naïve d'une expertise perçue comme vérité scientifique.

Dans un processus qui étouffe la diversité théorique des opinions, les experts sont puisés dans un cercle relativement restreint quels que soient les sujets. Il faut en finir avec le mythe de l'objectivité de l'expert. Les journalistes comme les spécialistes partagent des présupposés communs. Bien souvent des pseudos experts ne nous en apprennent pas plus que l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Ils servent surtout à faire passer l’idéologie dominante. Grâce à eux les « journalistes » revendiquent une information objective puisque soumise à des expertises alors que ce n’est que propagande.

Le 15 décembre dernier, 23 think thanks ont tenu leur troisième forum et le 17 décembre, la cérémonie des trophées des think tanks 2012 s’est tenue dans l’Hémicycle du Conseil économique, social et environnemental en présence de son président M. Jean-Paul Delevoye.

Les think tanks et leurs « experts » sont aujourd’hui de plus en plus convoqués par les médias pour faire part de leur « expertise ». Roger Lenglet et Olivier Vilain, journalistes, ont écrit un ouvrage « Un Pouvoir sous influence : Quand les think tanks confisquent la démocratie », sur ces réservoirs d’idées derrière lesquels des groupes d’influence pratiquent le lobbying. Selon Gérard Courtois, journaliste du Monde :«  Sur le versant libéral, pour ne pas dire à droite puisqu’ils se défendent de toute attache partisane, l’Institut Montaigne et la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) dominent le “marché”. » Avant de préciser, quelques paragraphes plus loin : « Deux think tanks dominent le paysage à gauche. Ils revendiquent leur liberté d’esprit mais ne cachent pas leur inscription dans l’espace socialiste. C’est une évidence pour la Fondation Jean-Jaurès (FJJ), créée en 1992 par Pierre Mauroy. Les « experts »de ces quatre think tanks ont un droit de cité quasi exclusif dans les médias et affichent des différences soigneusement mises en valeur alors qu’ils partagent, pour l’essentiel la même orthodoxie. « Entre 1998 et 2011, la fréquence des articles du Monde renvoyant à des think tanks a été multipliée environ par 15 », relèvent Lenglet et Vilain dans leur ouvrage. Sur les chaînes de télévision, des émissions leur sont entièrement consacrées ou animées par leurs membres.Les auteurs interrogent. Qui sont les animateurs de ces « réservoirs de pensée » ? Par qui sont-ils financés ? Quelles sont leurs relations avec les sphères du journalisme et des affaires ? En quoi participent-ils de la déqualification du métier de journaliste ? Quelles conséquences pour le débat démocratique ?

L’accouplement journaliste/expert est devenu une industrie florissante aux allures d’une nouvelle religion dont la doctrine est l’ultralibéralisme. « C. dans l’air » est l’exemple frappant des émissions ayant recours à l'expertise et qui pullulent dans le paysage audiovisuel français. Universitaires, chercheurs, professionnels ou tout simplement journalistes spécialisés… expert en tout et en rien,  ils sont censés éclairer le débat par leur savoir « infaillible ».

Un con qui sait qu'il est con est déjà moins con au moment où il s'en aperçoit. Il n’y a pas plus con qu'un con qui s'ignore… Un expert sait tout et ce postulat en fait un crétin global. Franck Lloyd Wright ironise à ce propos : « Un expert est un homme qui a cessé de penser. Pourquoi penserait-il, puisqu'il est un expert ? ». Francis Blanche rajouterait : « Un chameau, c'est un cheval dessiné  par une commission d'experts».

Pidone