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    Une révolution peut en cacher une autre...

    Au début de ce mois de décembre, l’association Per a Pace, Pour la Paix s’est rendue en Tunisie [1], à 180 kilomètres au nord/ouest de Tunis et à proximité de la frontière algérienne dans la région de Jendouba, à Ghardimaou, petite ville d’où sont originaires de nombreux travailleurs immigrés tunisiens installés en Corse. Cette action de solidarité internationale a été organisée en partenariat avec l’Association Populaire des Tunisiens en Corse (APTC), avec le soutien de l’Union des Travailleurs Immigrés Tunisiens de France (l’UTIT), et la collaboration de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (l’UGTT). 

    Solidarité, échanges, convivialité et découverte sont les mots clefs qui auront marqué cette initiative constituée de multiples rencontres à Tunis, Bizerte, Ghardimaou... Il faut dire que la Tunisie, celle qui a réalisé sa révolution le 14 janvier dernier et qui a donné le coup d’envoi du printemps arabe est sortie de plusieurs décennies de dictature et aujourd’hui, la parole se libère. L’espoir est au rendez-vous…

    Le président Ben Ali qui a dirigé le pays d’une main de fer durant plus de 23 années a bénéficié du soutien et de l’appui total des grandes puissances comme la France et de nombreux autres pays européens. Il a été obligé de fuir face à la pression populaire, aux manifestations et aux soulèvements.

    Le peuple Tunisien est aujourd’hui fier de sa révolution, lui qui n’a connu depuis l’indépendance du pays en 1956 que deux présidents de la République, Bourghiba et Ben Ali, et plus d’un demi-siècle de dictature, de privations, d’atteintes aux droits les plus élémentaires.

    Cette action de solidarité internationale [2] s’est inscrite dans la volonté de développer des coopérations entre associations et citoyens de Méditerranée. Elle a permis de convoyer des lits médicalisés, des fauteuils pour handicapés, des fournitures scolaires, des livres, des vêtements, des couvertures, des vélos et divers matériels médicaux à destination d’associations de Ghardimaou, Tunis, Nabeul et Bizerte.

    Elle aura aussi permis à travers les rencontres, les échanges et les témoignages de comprendre la Tunisie d’aujourd’hui, l’importance de sa révolution, les espoirs d’une jeunesse, et surtout la volonté de s’ouvrir, de construire une nouvelle Tunisie, celle souhaitée de la démocratie, de la justice et du respect des droits humains.

    La révolution a chassé Ben Ali et c’est donc tout naturellement qu’en octobre dernier, les tunisiens étaient appelés à élire leurs députés. Beaucoup votaient pour la première fois et les résultats ont donné 37% de voix au parti islamiste Ennahdha, dont est issu le premier ministre d’aujourd’hui Hamadi Jebali. Ce mouvement qui se revendique d’un islamisme « modéré » a réussi à fédérer autour de lui deux autres partis [3]pour constituer une majorité de gouvernance. Mais nous avons constaté l’inquiétude, les interrogations et les incertitudes qui pèsent sur les intentions futures de cette nouvelle majorité.

    Nous étions en Tunisie au moment où se réunissaient les 217 élus de l’Assemblée Nationale qui planchaient sur la nouvelle constitution à élaborer pour le pays. Tous les débats ont été télévisés et durant une semaine, les Tunisiens ont eu droit au spectacle d’une démocratie qui discute, débat, polémique, et vote…

    Pour l’UGTT , la principale organisation ouvrière, qui nous a apporté une aide décisive dans le dédouanement du matériel solidaire à Tunis et qui bénéficie d’un important capital de sympathie dans le pays, « ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, ne sont pas forcément ceux qui ont fait la Révolution ». Le secrétaire Général Abdessalem Jerad et deux de ses adjoints que nous avons longuement rencontré au siège de l’organisation à Tunis ont témoigné de leur crainte et dénoncé déjà les pressions qui se manifestent à l’égard de l’organisation syndicale qui prépare son congrès [4] pour la fin de ce mois de décembre.

    Tous les Tunisiens que nous avons rencontré et pas seulement les responsables de l’UGTT, principal organisation ouvrière dans le pays, ont été unanimes pour dire que sur le plan de la revendication démocratique, le bilan est positif, en attendant que le social, les droits et l’économique suivent.

    En effet, l’espoir est grand, le peuple attend du travail, plus de liberté, la fin de la corruption, la fin des discriminations notamment à l’égard des femmes, ils attendent des lois qui les protègent et surtout que soit expulsée définitivement une dictature qui n’a peut-être pas encore dit son dernier mot.

    Quelle place sera accordée aux droits de la femme dans la prochaine constituante ? Cette question est aujourd’hui au centre des débats. La section Tunisienne d’Amnesty International a présenté aux différents partis siégeant au sein de la constituante un manifeste comportant 10 grandes réformes à entreprendre dans le domaine des droits humains, afin que ceux-ci soient inclus dans la nouvelle constitution. Certains mouvements, dont ceux qui aujourd’hui sont au pouvoir ont refusé le fait « d’élever les droits de la femme au rang constitutionnel ». 

    Au moment où nous étions en Tunisie, la presse se faisait l’écho de vifs débats dans les universités. Le port du Niqad pour les femmes cristallise les oppositions entre les pros et les antis.

    Les échanges et rencontres, nous auront permis de comprendre que le peuple Tunisien a besoin que la classe politique mette en œuvre les changements profonds qui lui a été promis au lendemain de la révolution. Ils attendent des solutions, la sortie du tunnel, des signes positifs en matière d’emplois pour les jeunes, mais aussi dans la promotion des régions défavorisées comme Jendouba, Ghardimaou que nous avons visité et où les conditions de vie sont pour beaucoup très dures.

    Dans le petit hôpital de Ghardimaou (57 lits) la vétusté du matériel médical et l’indigence des moyens font contraste avec l’engagement du personnel. Le matériel déposé par les associations (3 lits médicalisés électriques, des matelas anti escarres, des fauteuils handicapés et du matériel médical) a ravi le personnel mais reste nettement insuffisant face à l’étendue des besoins.

    Au sein de la structure associative qui accueille des jeunes handicapés de la région, nous avons constaté la même pénurie de moyens, mais un dynamisme et un engagement qui permettent à de nombreux handicapés de suivre un enseignement et d’exercer une activité professionnelle dans l’exploitation agricole qui s’étend sur plus de 10 hectares. Le matériel solidaire déposé (fauteuils handicapés, fournitures scolaires, couvertures et vêtements) va certes apporter du mieux dans cette région sous équipée, mais nous avons constatés que les handicapés moteurs sont nombreux en Tunisie et que beaucoup ne peuvent se déplacer faute de fauteuil adapté…

    Le collège rural d’Ain Soltane situé à 1000 mètres d’altitude et qui accueille plus de 550 jeunes dont 380 internes se trouve lui aussi confronté à la précarité des moyens, absence d’infirmerie, manque de couvertures et matériel scolaire…

    A Tunis, dans une clinique, accompagnés par l’association Al Mansy (les oubliés) créée au lendemain de la révolution et constituée presque essentiellement de jeunes étudiants, nous avons rencontré certains des blessés de la révolution, ceux qui 10 mois après, sont encore sous le choc et meurtris dans leur chair. Il sera difficile d’oublier le regard de la petite Maram, 3ans, blessée dans le sud du pays et le sourire de Rached, étudiant de 21 ans, transpercé par une balle et qui le laisse aujourd’hui paraplégique.

    Ces dernières semaines, l’actualité a mis l’accent sur les drames que l’immigration du désespoir à bord d’embarcations de fortunes a encore occasionné… Avec les difficultés de la vie, le chômage et la marginalisation, beaucoup de jeunes seront encore tentés par le voyage de la dernière chance, si le gouvernement ne répond pas aux aspirations, celles pour lesquels les Tunisiens ont fait la Révolution. 

    Aujourd’hui la Tunisie cherche sa voie… Les Tunisiens ont renversé une dictature, mais seront-ils suffisamment forts pour promouvoir la Laïcité, la démocratie et empêcher une nouvelle dictature obscurantiste…

    Jacques Casamarta

     


    [1] Avec cette action de solidarité internationale qui s’est déroulée du 3 au 12 décembre 2011, il s’agissait de la première action de Per a Pace en Tunisie. Deux fourgons 12 m 3 et sept personnes participaient à cette initiative. Pascale Larenaudie, Marie-France Andreozzi, Touria Leca, Baptiste Chanrion et Jacques Casamarta (Association Per a Pace). Mohamed Jouablia (l’APTC) l’Association Populaire des Tunisiens de Corse et Slimane Sideri (l’UTIT) l’Union des Travailleurs Immigrés Tunisiens de France. Sur place nous avons reçu le soutien de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (l’UGTT). 

    [2] Cette action solidaire, la première de l’association en Tunisie, était prévue en 2012, mais la date a été avancée après l’annulation ce mois de décembre de l’initiative prévue au Maroc et pour laquelle nous avons constaté avec nos partenaires associatifs sur place les difficultés pour ne pas dire l’impossibilité de dédouanement aux frontières. Déjà en 2009, cinquante vélos convoyés à destination d’associations marocaines étaient revenus en France après avoir passé 9 jours aux douanes de Tanger. C’est pour éviter une nouvelle fois cette situation, que Per a Pace a pris la décision de reporter à une date ultérieure cette opération au Maroc. 

    La ville d’Ajaccio, qui avait soutenu l’initiative dans le cadre de son appel à projet « fait bouger le monde » a accepté d’en modifier la destination et la SNCM, société de navigation maritime nous a apporté une contribution décisive en soutenant l’organisation de ce premier convoi en Tunisie.

    [3 ]Le Congrès pour la République et le Forum Démocratique pour le travail et les Libertés sont les deux mouvements politiques qui ont constitué avec Ennahdha ce que les Tunisiens appellent la Troïka.

    [4] Le Congrès de l’UGTT s’est tenu à Tunis du 25 au 28 décembre 2011.

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